Comment avoir une langue forte si, en tant que nation, nous sommes faibles? Une langue riche si, individuellement, nous la parlons pauvrement? Une langue attirante si, comme société, nous ne sommes pas attrayants? Alphonse Allais, qui cultivait une grande intelligence de la langue, disait (ce n'est pas sa plus géniale trouvaille): «Tout est dans tout et vice-versa».

Or, le Québec traite ses problèmes en silos, comme s'ils n'étaient pas interdépendants. C'est peut-être notre plus grave erreur.

À compter du 12 mars siégera une commission parlementaire sur le projet de loi destiné à renforcer la Loi 101. Avant de soumettre à la clé... anglaise la tuyauterie linguistique, peut-on se demander si, considéré dans toutes ses dimensions, le Québec est en position de force à l'aube de cette nouvelle bataille?

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La santé du français a à voir avec l'école, l'affichage, la gouvernance locale, le bureau et l'atelier, bien entendu. Ce sont les domaines soumis depuis des décennies à la législation linguistique.

Cependant, la pérennité de la langue dépend aussi de tout le reste. De la vigueur de notre enseignement supérieur. De la splendeur de notre métropole et de la rigueur qu'on met à l'administrer. De la vitalité et de l'audace de notre économie. De notre culture, évidemment, et de son pouvoir de séduction. En somme, elle dépend des efforts individuels et collectifs consentis, ou non, dans le but de placer le Québec en position de force.

Car la langue des faibles s'étiole, rebute, puis disparaît.

Or, qu'enseigne l'actualité des dernières semaines... outre qu'un menu proposant des pâtes ou du boeuf grillé peut menacer la nation? Elle enseigne que, malgré des palabres infinis (ainsi que la quasi-guerre civile de 2012!), nous n'avons pas su régler quoi que ce soit en matière d'enseignement supérieur. Et que, ayant sciemment rendu Montréal ingouvernable, mais y avons aussi toléré la décrépitude physique et la corruption à grande échelle.

Et qu'est-ce qu'avaient déjà démontré les dernières années? Que nous avons cessé de comprendre comment fonctionne l'économie, compensant cette suicidaire ignorance par une ingéniosité sans bornes pour contrecarrer le moindre projet de développement. Et que, malgré les succès honorables de nos artisans de la culture, nous déployons des énergies folles afin de donner de celle-ci une image de forteresse assiégée, négligée, désargentée, au bord de la capitulation.

Dans cette sorte de Waterloo sociétal, qu'est-ce qui motivera l'«autre» à apprendre et utiliser notre langue?

Sera-ce la beauté et la noblesse du français de la rue - de kessé? Sera-ce la perspicacité et la dévotion des fonctionnaires de l'Office québécois de la langue française? Sera-ce la fiabilité et le magnétisme d'un gouvernement qui, parfaitement en phase avec la nation, ne recule jamais devant les décisions difficiles?

Que de questions, que de questions.