Ah, si les marchés pouvaient voter! Ils auraient certainement réélu Mario Monti à la tête de l'Italie, pays qu'il a dirigé depuis novembre 2011 à leur entière satisfaction.

En 15 mois de pouvoir, ce technocrate sans grand charisme a augmenté les impôts, réduit les dépenses de l'État, rogné sur les budgets des hôpitaux, haussé l'âge de la retraite à 66 ans et libéralisé le marché du travail pour faciliter les licenciements. Résultat: il a jugulé la crise financière d'un pays qui semblait foncer tout droit vers la faillite. Les taux d'intérêt appliqués à la colossale dette italienne ont reflué, retrouvant des niveaux acceptables. Les marchés étaient contents. Et on peut les comprendre.

Mais pour le plus grand malheur du professeur Monti, les marchés, ça ne vote pas. Et les électeurs italiens, eux, n'étaient pas contents du tout. Eux aussi, on peut les comprendre. Car l'économie italienne est engluée et ne décolle pas. Le taux de chômage chez les jeunes de moins de 25 ans atteint 37%, bien au-dessus de la moyenne européenne, et 11 points au-dessus de la France. Et rien n'indique que ça pourrait changer dans un avenir prévisible.

«L'ascenseur social est bloqué en marche arrière et il descend», a écrit récemment La Repubblica. Ce qui plonge de plus en plus de familles italiennes dans la pauvreté: aujourd'hui, 10 % de la population du pays vit avec moins de 1300$ par mois. C'est le seuil de l'indigence.

Quand il est arrivé au pouvoir, Mario Monti avait promis de mener de front le combat contre le déficit et pour la relance économique du pays. Mais la relance est imperceptible. Tandis que les mesures d'austérité, elles, sont omniprésentes. Comme cette impopulaire taxe foncière que les Italiens ont dû payer en décembre - au moment même où le pays se préparait aux élections.

«Pour beaucoup de gens, cette taxe était totalement injuste, d'autant plus qu'ils ont dû y consacrer tout leur 13e mois de salaire», explique le politologue Giovanni Orsina.

En d'autres mots, Mario Monti est parvenu à rassurer les marchés, mais il a fait peur au monde. D'où ce scrutin aux résultats surréalistes, marqué par la montée de l'humoriste anti-establishment Beppe Grillo, qui promet un référendum sur l'euro et la semaine de 20 heures, ainsi que la résurrection de l'érotomane lifté Silvio Berlusconi, qu'on avait cru sorti de la scène politique. À eux deux, les deux hommes ont réussi à aller chercher plus de 50% des voix, à droite pour Berlusconi, à gauche pour Grillo.

Pour décrire les résultats du vote, Giovanni Orsina n'a que deux mots à la bouche: «bloody mess». Ce qu'on pourrait traduire par: méchant bordel. D'autres commentateurs parlent de chaos, d'instabilité, de pays ingouvernable. Pour pouvoir former une coalition digne de ce nom, il faudra faire des alliances improbables. Qui risquent de voler en éclats au premier coup de vent...

Comment l'Italie est-elle tombée si bas? Ce vote est d'abord et avant tout un immense coup de pied aux politiques d'austérité, ce remède de cheval prescrit à l'Italie, mais aussi à d'autres pays du sud de l'Europe pour les sauver de la faillite. Malheureusement, ce traitement produit des effets secondaires indésirables. Même le Fonds monétaire international, pourtant le premier à mettre les pays trop endettés au régime, le reconnaît aujourd'hui. Dans un article publié au début du mois de janvier, deux de ses économistes ont admis s'être trompés dans leurs calculs. En temps de crise, l'impact négatif des politiques d'austérité est de deux à trois fois pire que ce que l'auguste institution avait prévu!

Le bordel italien, c'est en grande partie le résultat de cette «petite» erreur de calcul.