L'utilisation croissante des drones dans la chasse aux combattants d'Al-Qaïda suscite un questionnement moral. L'assassinat ciblé rendu possible par cette nouvelle technologie est-il acceptable? Qui en décide? Le secret qui entoure ces opérations est-il éthiquement tenable? Combattre à distance et à l'abri de la riposte est-il... de bonne guerre?

Surtout depuis 2007, des drones armés sont utilisés en Afghanistan, dans les zones tribales du Pakistan, en Somalie et au Yémen.

Ils auraient fait près de 3000 victimes. Ils sont pilotés à partir des États-Unis, où l'on forme maintenant davantage d'opérateurs de drones que de pilotes de chasseurs et de bombardiers. Les forces américaines en avaient une cinquantaine en 2001, elles en disposent aujourd'hui de 8000. Parallèlement, une quarantaine d'autres pays développent cette technologie.

Le drone (et, sous peu, ses équivalents terrestres et maritimes) a un bel avenir devant lui.

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Depuis l'invention de la catapulte, les machines de guerre ont toujours été conçues pour maximiser les pertes chez l'ennemi en minimisant les siennes - souvent par la distance. Et la question morale a probablement été soulevée chaque fois qu'une technologie nouvelle est apparue. Quant aux cibles, elles ont toujours été désignées par les chefs de guerre ou d'État. Enfin, aujourd'hui comme hier, le secret est une arme en soi...

À ces points de vue, l'utilisation du drone ne présente rien de radicalement neuf. Plaide même en sa faveur sa capacité de réduire le nombre de victimes civiles que la frappe aérienne classique n'épargne pas.

L'engin n'en présente pas moins des problèmes particuliers, que recense le spécialiste en études stratégiques et diplomatiques, Charles-Philippe David, dans La Guerre et la paix (édition augmentée, tout juste parue). Danger de prolifération, secret très étanche, flou juridique, non-imputabilité sont du nombre.

Malgré cela, ce n'est pas tant le drone que la situation géostratégique qui est singulière.

Considérer comme morale l'utilisation des drones suppose d'abord que l'on accepte l'idée qu'existe une guerre déclarée entre l'Occident et la terreur islamiste - beaucoup le nient. Or, cette guerre est menée depuis le début de façon non conventionnelle. L'avion commercial transformé en missile, l'attentat-suicide, la prise en otages de populations entières, l'égorgement télévisé, le ciblage délibéré et souvent exclusif de civils, sont considérés comme parfaitement moraux par l'une des parties.

Voilà l'affaire: cette guerre est asymétrique au niveau moral. Personne n'attend de la terreur islamiste qu'elle respecte quelque règle que ce soit. C'est par contre ce qu'exigent de leurs militaires les populations occidentales, largement dégoûtées de la guerre. Aussi, ce qui est jugé en même temps que les drones, c'est au fond la guerre elle-même qui, à nos yeux, est devenue immorale.

«Les nouvelles technologies sont-elles sur le point de supplanter les vrais soldats? L'irruption de la guerre sans vertu?» s'interroge David. Il ajoute que «tout le défi consistera à s'assurer que les humains conserveront le plein contrôle de ce processus en transition». C'est à souhaiter, en effet.

Quant à la vertu, nous n'en trouvons plus beaucoup dans le sang versé, de quelque manière que ce soit.