Les Jeux de Sotchi ne seront pas annulés si Gary Bettman refuse de décréter une trêve olympique et ordonne aux joueurs des 30 équipes de la Ligue nationale de hockey de respecter les contrats qui les lient à leurs formations professionnelles plutôt que de répondre à l'appel de leurs équipes nationales.

C'est évident.

La descente masculine en ski alpin demeurera l'épreuve reine. Le ski acrobatique, le ski de fond, le biathlon, le patinage de vitesse ou artistique, la luge, le bob à deux ou à quatre et le skeleton - la version olympique du «crazy carpet» - et toutes les autres compétitions offriront de grands et de beaux moments.

Toutes? Pas tout à fait. Le tournoi de hockey souffrirait énormément de l'absence des meilleurs joueurs au monde.

C'est justement parce que ce tournoi a davantage besoin des joueurs de la LNH que celle-ci a besoin de ce tournoi qu'il me semble évident que René Fasel, président de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF), doit amadouer Gary Bettman. Qu'il doit s'assurer de la complicité de Bettman et de la LNH. Qu'il doit en faire des associés plutôt que des adversaires, comme c'est le cas actuellement. Il doit s'unir à la LNH pour que cette damnée présence des meilleurs joueurs de hockey au monde ne soit pas remise en question tous les quatre ans ou en fonction de l'endroit où se tiennent les Jeux.

Monopole médiatique

René Fasel, sa fédération, voire le Comité international olympique (CIO) n'ont pas à se mettre à genoux devant Gary Bettman et les joueurs de la LNH. Ils n'ont pas à leur promettre des chambres plus cossues et plus confortables que celles des autres athlètes. Ils n'ont pas à leur offrir des limousines pour se rendre à l'aréna. Pas plus qu'ils ne doivent dédommager financièrement la LNH.

Mais en raison de l'envergure que la LNH donne au tournoi olympique en y dépêchant ses meilleurs joueurs - avec les risques de blessures que cela suppose -, il serait tout à fait normal qu'elle puisse partager les images des prouesses de ses joueurs avec le CIO, qu'elle puisse les diffuser sur son site d'informations, qui a des ramifications aux quatre coins de la planète hockey, au lieu d'être traitée comme tous les autres groupes de presse présents aux Jeux.

Ce monopole médiatique est l'un des nombreux points sensibles opposant Bettman et Fasel. En faisant marche arrière sur ce front, Fasel assurerait peut-être le maintien de ses positions et de celles du CIO sur d'autres. Surtout, il maximiserait la présence des meilleurs joueurs au monde à son tournoi.

La poule ou l'oeuf

Plusieurs prétendent que la LNH a besoin de la visibilité que lui offrent les Jeux olympiques et qu'au lendemain d'un autre lock-out difficile, Bettman pourrait difficilement jouer dur avec l'IIHF et se passer des Jeux de Sotchi.

Ce point de vue se défend.

Le point de vue inverse est toutefois beaucoup plus pertinent, voire percutant, selon moi.

Pourquoi se souvient-on autant de la défaite du Canada aux mains de la République tchèque en demi-finale des Jeux olympiques de Nagano, en 1998?

Parce que le Canada a perdu en tirs de barrage?

Non! Parce que Wayne Gretzky, le meilleur marqueur de l'histoire du hockey, a été laissé sur le banc par Marc Crawford, qui dirigeait l'équipe canadienne. Parce que Dominik Hasek a battu Patrick Roy. Parce que ces JO étaient les premiers mettant en vedette des joueurs de la LNH, pendant que leurs coéquipiers étaient en congé.

Quatre ans plus tard, à Salt Lake City, la Suède a presque décrété une journée de deuil national lorsque Vladimir Kopat a propulsé la Biélorussie vers une victoire de 4-3. Pourquoi ce deuil? Parce que Kopat a marqué sur un tir frappé du centre de la patinoire et que la rondelle a touché le gardien en plein front avant de ricocher dans le but?

Oui, un peu. Mais surtout parce que ce gardien était Tommy Salo. Et qu'à l'image des Mats Sundin, Daniel Alfredsson et autres Nicklas Lidstrom venus de la LNH, il multipliait par 1000 l'intérêt pour ce tournoi et le rêve de médaille de ses compatriotes.

Le Canada a vécu pareille déconfiture quatre ans plus tard à Turin, aux mains de la Suisse. Bon! Une défaite du Canada contre la Suisse, c'était déjà grave. Mais cette défaite a pris des proportions de catastrophe en raison de la présence des Sakic, St-Louis, Lecavalier, Gagné, Thornton et autres grandes vedettes de la LNH sous l'unifolié.

Le but qui a confirmé la médaille d'or du Canada dans la victoire en prolongation aux dépens des États-Unis restera pour toujours un grand moment du hockey olympique. C'est sûr. Mais le fait que ce soit Sidney Crosby qui l'ait marqué fait de ce but un moment historique.

Compétition féroce

Il y a presque trois ans jour pour jour, à Vancouver, j'ai rempli un sondage par l'entremise duquel l'IIHF demandait aux journalistes d'évaluer leurs chances d'être présents à Sotchi selon que la LNH et ses joueurs soient du tournoi de hockey ou non.

La réponse était simple: elles sont de minces à nulles si la LNH n'y est pas.

Si la LNH maintient son calendrier l'an prochain, la majorité des collègues dépêchés à Vancouver suivra les activités des équipes dont elle assure la couverture quotidienne. Elle fera non seulement faux bond aux JO de Sotchi, mais elle revendiquera de l'espace rédactionnel qui ne sera pas accordé aux Jeux.

Les matchs de la LNH disputés à la télé feront eux aussi une chaude lutte aux compétitions provenant de Sotchi. Tout le monde perdra. Les jeunes qui multiplieront les prouesses aux JO et qui ne profiteront pas de la visibilité qu'ils mériteraient. Les diffuseurs qui n'auront pas un juste retour sur leur investissement. Les téléspectateurs. Sans oublier le tournoi de hockey, qui perdra de son lustre.

Et comme j'aimerais bien mieux visiter Sotchi que Columbus, Minneapolis ou Toronto, j'espère que René Fasel prendra tous les moyens nécessaires pour s'assurer de la présence des meilleurs joueurs de hockey au monde là où ils devraient être dans un an: aux Jeux olympiques.