Il est venu chez moi il y a longtemps avec une de ses athlètes, sa blonde à l'époque, aujourd'hui retirée du sport. De mes années sportives, elle aura été une des athlètes que j'ai le plus admirées, mais lui aussi, je l'aimais bien. Un peu dictatorial - la chose est courante chez les entraîneurs-, c'était un très bon entraîneur, de calibre international.

On avait passé un beau dimanche de vélo, pas vite, fallait pas la fatiguer, elle se préparait pour des championnats du monde. Ils venaient de s'acheter une maison; après les Jeux - était-ce ceux d'Athènes?- ils auraient peut-être un enfant.

Il avait la réputation de papillonner avec les plus jeunes de ses athlètes féminines. Dans son entourage, on en faisait des blagues tant on était persuadé que cela restait dans les limites de la décence. Jusqu'au scandale qui a éclaté il y a un an et demi: accusé d'attouchements sur une mineure, d'abord condamné à trois mois de prison, puis, sur appel de la peine par la Couronne, à un an.

Si vous voulez, je vous raconterai toute mon histoire, m'a-t-il proposé l'été dernier dans un long courriel, dans lequel il se flagellait beaucoup - je veux dire: avec une grande envie qu'on le voie se flageller. Je le voyais venir, avec ses gros sabots de monstre. Il allait me dire: c'est vrai, je suis un monstre, mais maintenant je me soigne.

Je l'ai appelé au début janvier, il a pris les devants: pour l'entrevue, j'ai changé d'idée, j'ai changé tout court, je n'ai plus envie de me donner en spectacle. De toute façon, j'entre en prison lundi.

Je viens de recevoir une lettre de lui, manuscrite. Extraits...

Cher Pierre, ma quatrième journée de détention s'achève. Je suis actuellement consigné avec un autre détenu dans une aile dite «population», mais dans une cellule «protect». Notre cellule fait 2,5 m sur 3,5 m avec un lit, une toilette, un petit bureau (en fait, une plaque d'acier soudée au mur). La fenêtre donne sur la cour intérieure.

On a le droit de sortir de notre cellule une heure par jour de 16 à 17h. J'ai rempli des papiers ce matin pour mon transfert dans une aile «protection» où nous serons hors cellule la majorité du temps. Il semble y avoir un énorme problème de surpopulation.

J'ai apporté dix livres, je viens de terminer L'homme qui voulait être heureux, de Laurent Gounelle, j'ai aussi trois Coelho, un Guillaume Musso, un Guillaume Vigneault, un Alexandre Jardin. J'ai commencé un journal de bord, j'écris une page par jour, l'idée d'en faire une sorte d'autobiographie me chatouille l'esprit...

J'attendrai votre réponse avant de vous réécrire...

Je vais certainement répondre à votre lettre mais, au cas où vous auriez accès à La Presse là où vous êtes, vous dire tout de suite que si c'est une formidable idée de tenir votre journal, c'en est une très mauvaise de penser autobiographie.

Vous voulez un conseil pour écrire? Il est de Christian Bobin (dans Ressusciter, justement): «Je place un papier blanc sur la table et j'attends que les mots, attirés par la luminosité, viennent s'y prendre.»

NOUVELLE ÈRE - Ma collègue Stéphanie Grammond chroniquait cette semaine dans le cahier Affaires sur l'obsolescence programmée, c'est-à-dire sur la fabrication d'appareils délibérément conçus pour durer moins longtemps, comme ça t'en achètes un autre plus vite. Le faire réparer? Presque aussi cher qu'en racheter un neuf. Les gouvernements pourraient empêcher cela en imposant aux manufacturiers une rallonge des garanties, mais ils s'en gardent bien.

Je viens d'une époque où les artisans nous disaient: cela vous fera pour la vie, monsieur. En fait, des premiers outils de l'homme du Néandertal à mon premier ordinateur, qui marche encore très bien (le TRS 80 de RadioShack), l'homme s'est toujours appliqué à fabriquer des trucs qui durent. C'était dans sa nature de faire le mieux possible.

On vient d'entrer dans une nouvelle ère. On fabrique maintenant EXPRÈS des appareils qui vont se décrisser plus rapidement. Appelons-la l'ère du progrès.

PÉPÈRE LA VIRGULE - Boulevard Saint-Laurent, juste avant d'arriver à Viger, un panneau avertit les automobilistes: Attention, 1 seul voie sur Viger, option par René-Lévesque. La faute - en lettres d'au moins 30 cm de haut - frappe comme une brique dans le front.

Ce n'est pas la faute qui frappe, c'est qu'elle reste là et que personne ne se donne la peine de la signaler. La signalerait-on, personne ne la ferait corriger.

Ce genre de faute n'est pas qu'une faute, c'est une putain de verrue dans le visage francophone de Montréal.

Dans un genre complètement différent est présentée à Montréal en ce moment une pièce de théâtre dont le titre va ainsi: Le banquet des petites personnes ou la politesse du désespoir. Quel beau titre, s'extasiaient les gens de la radio, ah! la politesse du désespoir, quelle trouvaille, et de regretter de n'en être pas les auteurs. Est-ce moi qui viens d'une autre planète? La pirouette est de Boris Vian, ressortie chaque fois qu'on cherche à dire quelque chose de «cute» sur l'humour, adoptée par Desproges, bref pas vraiment une trouvaille, plutôt une autre tombe dans le grand cimetière des citations.

MALLARMÉ JEUDI APRÈS-MIDI - L'autre après-midi, ma librairie était pleine de jeunes gens, étudiants dans la vingtaine de l'Institut de tourisme voisin. Leur liste de lectures à la main, ils venaient chercher leurs livres pour le cours de littérature. Celle-ci avait oublié d'en noter un, elle cherchait à haute voix, voyons, c'est le nom d'un arbre...

C'est pour un cours de littérature québécoise?

Oui.

Alors c'est L'Amélanchier, de Ferron.

C'est ça! Vous l'avez lu, monsieur?

Oui, mademoiselle. Un grand livre. Elle prit encore Les aurores boréales, La Peste, Les Cantouques de Godin...

Ceux-là aussi, vous les avez lus, monsieur?

Oui. Je retirai le Godin de sa pile. Ce monsieur-là habitait juste de l'autre côté de la rue, au square Saint-Louis, avec sa blonde, la chanteuse Pauline Julien. Vous avez entendu parler de Pauline Julien?

Jamais. Elle prit encore La ferme des animaux, d'Orwell.

Ça, par contre, mademoiselle, c'est plate longtemps...

Vous avez lu tous les livres, vous, alors?

Et la chair est triste, hélas.

Pardon?

Rien.