Rarement une décision de la Cour suprême du Canada aura-t-elle été aussi attendue. Mais ce jugement, qui clôt l'épopée judiciaire d'Éric et Lola, touche entre 35% et 38% des couples québécois. Il s'agit de ceux qui croient en l'union libre et qui apprennent ainsi qu'on ne les mariera pas contre leur gré.

Certes, les conjoints anonymes devenus légendaires, qui brassent les millions comme de la menue monnaie, ne sont pas très représentatifs du ménage moyen...

Mais la conclusion de leur saga a une grande portée. La décision des juges constitue en effet une victoire de la liberté de choix et un pari sur la maturité des gens qui les font. Elle établit aussi que les lois québécoises sur la famille sont conformes à la constitution. Qu'un «modèle québécois» distinct de celui des autres provinces, lesquelles encadrent l'union libre, est légitime. Qu'il appartient au législateur, donc à l'Assemblée nationale, de revoir le dossier s'il y a lieu.

Hier, le ministre de la Justice du Québec, Bertrand St-Arnaud, n'a pas exclu une réflexion à ce sujet, ce que souhaitent divers groupes de pression.

La Cour suprême convient donc que l'union libre n'a pas à attribuer aux conjoints les droits et obligations touchant la pension alimentaire et le partage du patrimoine familial.

Or, sans entrer dans le labyrinthe juridique, le combat mené par Lola - et d'autres en appui - reposait en pratique sur deux points fort bien compris du public. Un, la possibilité qu'un individu puisse être incapable de décider de façon éclairée de vivre en union libre. Deux, l'éventualité que la rupture blesse économiquement l'une des parties. Dans les deux cas, c'est à la femme qu'on a évidemment toujours pensé, la Cour suprême ayant pris acte de cette «vulnérabilité» avant d'arbitrer.

Est-ce que ces écueils possibles sont tels qu'ils doivent entraîner la contrainte?

D'abord, les femmes sont, et seront, plus instruites que les hommes: en 2008, 36,5% des femmes, mais seulement 24,1% des hommes détenaient un diplôme universitaire. On peut les supposer éclairées. (Et, au fait, se demande-t-on souvent si les mariages et unions civiles sont le fruit de décisions éclairées?) Ensuite, les paramètres économiques ont changé. En 20 ans, les salaires réels des femmes ont augmenté de 11,6%, presque dix fois plus que ceux des hommes. L'écart est encore plus grand chez les jeunes, ce qui laisse présumer de l'avenir.

Nonobstant tout cela, on ne jongle pas avec les concepts de liberté et de droits à la seule lueur des chiffres.

Aussi, la Cour suprême a ultimement retenu que «le principe d'autonomie personnelle ou d'autodétermination, auquel se rattachent l'estime, la confiance et le respect de soi, fait partie intégrante des valeurs de dignité et de liberté qui sous-tendent la garantie d'égalité».

Il faudra y réfléchir? Peut-être. Mais avec beaucoup de précaution et d'élévation d'esprit.