Jeudi dernier, Moumouni Guindo était en congé, chez lui, à Bamako, et ce qui le préoccupait avant tout, c'était l'excursion familiale qu'il avait planifiée pour le lendemain dans les environs de la capitale malienne.

Puis, vers 17h, le téléphone a sonné. «Konna vient de tomber», a dit son ami au bout du fil.

C'en était fini de l'excursion du vendredi. Moumouni Guindo se souvient clairement de ce qu'il a ressenti en apprenant la nouvelle. «C'était la panique, la peur, la frayeur. Il était évident que l'armée malienne ne pouvait pas bloquer la vague.» Il a passé des heures rivé à l'internet, pour essayer de décoder le fil des événements. Konna se trouve tout près de Sévaré, une ville stratégique, avec ses deux bases militaires et son aéroport. Si Sévaré devait chuter à son tour, les islamistes ne rencontreraient plus beaucoup d'obstacles sur le chemin de la capitale.

Les premières nouvelles sur un déploiement de l'armée française au Mali ont commencé à filtrer plus tard dans la soirée. Moumouni Guindo n'osait trop y croire. Il lui semblait que le président François Hollande avait plus à y perdre qu'à y gagner. Ne serait-ce que parce que cette intervention mettrait en danger la vie des sept otages français détenus dans le Sahel. Moumouni Guindo a été d'autant plus soulagé le lendemain quand les premiers Mirage français ont survolé son pays.

Président d'une association de défense des droits de l'homme, Moumouni Guindo éprouve bien un pincement au coeur en voyant l'ancienne puissance coloniale voler au secours de son pays. À 42 ans, il appartient à la première génération postcoloniale. Une génération libérée de ses «complexes d'infériorité», prête à traiter avec le monde d'égal à égal. Psychologiquement, le S.O.S. lancé à Paris lui apparaît comme un «recul malencontreux».

Mais pour lui, les islamistes représentent une menace autrement plus effroyable. Avec, à la clé, la perspective d'une «nouvelle colonisation». Nouvelle, mais surtout impitoyable, si l'on se fie aux informations qui filtrent du Grand Nord malien.

Moumouni Guindo n'est pas le seul. La vaste majorité des Maliens ont accueilli avec enthousiasme l'opération Serval déclenchée par la France. De nombreux analystes croient qu'à partir du moment où les islamistes ont lancé leur offensive sur le Sud, menaçant tout le Mali de se transformer en une vaste base pour terroristes et de répandre l'instabilité au-delà de ses frontières, cette intervention était absolument nécessaire. «Après la chute de Sévaré, rien n'aurait empêché une avancée islamiste vers Ségou ou Bamako», a écrit l'un des meilleurs experts de l'Afrique de l'Ouest, Gregory Mann, avant de préciser que l'opération Serval est tout sauf une «offensive néocoloniale».

Mais même si elle se justifie, cette nouvelle incursion occidentale dans un pays musulman comporte ses risques et périls. Le premier danger, c'est celui de l'enlisement. Les trois groupes islamistes qui contrôlent le nord du Mali ont surpris par leur puissance militaire. Même s'ils finissent par être chassés de leurs principaux fiefs, ils ne seront pas éradiqués pour autant. Le Sahel est vaste et ses frontières sont poreuses. Le risque d'un scénario à l'afghane - un retour progressif de ceux-là mêmes que l'on a tenté de chasser - n'est pas totalement farfelu. Et qui dit enlisement dit aussi perte d'appuis politiques pour une opération qui finira par coûter cher, en argent et en vies humaines.

L'autre risque, c'est celui d'une fragilisation de l'État malien. Les dirigeants actuels du pays sont issus d'un coup d'État qui a mis un terme à deux décennies d'expérience démocratique. Selon Gregory Mann, l'intervention militaire internationale favorise la stabilité politique. Mais pour combien de temps? Et comment fera-t-on pour redonner aux Maliens un gouvernement légitime? Actuellement, avec un pays coupé en deux et soumis à de violents combats, des élections sont tout simplement impensables - quoi qu'en pense notre ministre des Affaires étrangères, John Baird.

Il ne faut pas oublier, enfin, que la crise actuelle a été nourrie par un conflit non résolu: celui qui oppose les Touaregs du Sahel au pouvoir central. Il y a un an, ce sont les militants touaregs à la recherche d'autonomie qui ont lancé l'assaut contre Tombouctou, Gao et Kidal, avant de se faire doubler par les islamistes. Que leur arrivera-t-il après l'éventuelle défaite des islamistes?

Bref, au Mali comme ailleurs, il ne suffira pas de bombarder. Il faudra aussi parler. La solution ne peut pas être que militaire. Elle doit aussi être politique.