On dira que Stephen Harper n'avait pas vraiment le choix et que devant la grogne grandissante du mouvement Idle No More et la grève de la faim de la chef Theresa Spence, il devait rencontrer les leaders autochtones. Peut-être, mais il faut reconnaître que pour un homme qui n'est pas reconnu pour sa flexibilité, le premier ministre a fait quelques honorables arabesques pour accommoder les chefs des Premières Nations et tenir aujourd'hui une rencontre à Ottawa.

Tant mieux, parce que si nous voulons sincèrement faire quelques progrès dans les dossiers autochtones, il va falloir beaucoup de souplesse. Des deux côtés: au gouvernement fédéral comme chez les Premières Nations.

Les dirigeants autochtones reprochent au gouvernement Harper son intransigeance (notamment, le recours quasi systématique aux tribunaux pour chaque différend), mais certains d'entre eux ont fait preuve ces derniers jours d'un entêtement puéril tout à fait contre-productif. On dessert sa cause auprès de l'opinion publique quand on confond revendications et caprices.

Les autochtones auraient aussi intérêt à accorder leurs violons pour jouer au moins quelques mesures communes, plutôt que d'entretenir cette cacophonie qui enterre le son légitime de leur colère.

Si les méandres des négociations ayant mené à la rencontre d'aujourd'hui sont le reflet des relations entre Ottawa et les autochtones, on comprend mieux l'ampleur du gouffre qui les sépare. Et les défis qui les attendent.

Ce n'est pas pour rien que l'entourage de M. Harper comme les chefs autochtones s'emploient depuis quelques jours à faire baisser les attentes. L'ordre du jour proposé la semaine dernière par Stephen Harper (il y est beaucoup question de développement économique) est vague, mais immense à la fois. De l'autre côté, la frustration des autochtones est exacerbée et le lien de confiance, brisé depuis longtemps.

Quoi qu'il en soit, si tout ce beau monde arrive effectivement à se rencontrer sans que personne parte en claquant la porte au beau milieu des discussions, ce sera déjà ça de pris. S'ils s'entendent pour se revoir, et pas seulement dans un an parce qu'une nouvelle crise éclatera, ce sera encore mieux.

L'insistance des autochtones à inclure le représentant de la reine, le gouverneur général, dans la discussion surprend - dérange même - bien des gens, qui y voient un désagréable relent de monarchie. Mais à bien y penser, David Johnston a le profil parfait du médiateur.

Le premier ministre veut parler de développement économique, le chef de l'Assemblée des Premières Nations veut parler de redevances pour les ressources naturelles, le tout sous fond de tensions juridico-politiques autour des traités historiques.

Avant de parler de développement économique, il faudra bien refaire l'état des lieux et parler franchement de pauvreté, de conditions de vie pitoyables, d'isolement, bref de tout ce qui sous-tend le mouvement Idle No More.

Pas besoin d'études, de rapports ou de nouvelles commissions d'enquête qui prendront des mois, voire des années à nous dire ce que nous savons déjà.

La commission Erasmus-Dussault, ça vous dit quelque chose? Lancée par Brian Mulroney en 1991, elle accoucha finalement, cinq ans plus tard, d'un accablant rapport de 4000 pages faisant état, dans le détail des problèmes qui, 20 ans plus tard, perdurent: pauvreté, suicide, dépendance aux drogues et à l'alcool, chômage, violence...

L'expression tiers-monde au Canada, qu'on entend ces jours-ci, était déjà largement utilisée à l'époque.

Les autochtones avaient qualifié la commission Erasmus-Dussault de «rendez-vous de la dernière chance». Aujourd'hui, deux décennies plus tard, ils parlent d'un rendez-vous historique. En affaires autochtones au Canada, non seulement l'histoire a le hoquet, mais elle souffre en plus d'Alzheimer.

Vous croyez que la misère des autochtones et leur isolement sont nouveaux? Allez sur Google, cherchez la série de John Stackhouse, du Globe and Mail, intitulée «Canada's apartheid», publiée en 2001. Le sort lamentable des autochtones et leur relation avec les gouvernements décrits dans cette série (sur 14 jours!) n'ont guère changé 12 ans plus tard.

Une autre chose n'a pas vraiment changé: le manque de transparence dans la gestion de plusieurs communautés autochtones, qui se replient derrière leur statut de Première Nation et derrière la complaisance des gouvernements pour éviter de rendre des comptes.

Tant que nous perpétuerons le cercle vicieux des réserves dépendantes d'Ottawa mais qui n'ont pas vraiment de comptes à rendre, nous ne ferons qu'élargir le fossé entre les nations autochtones et le reste du pays.

Cela fait l'affaire, à l'évidence, de certains leaders autochtones, qui en tirent profit, et du gouvernement, qui s'évite bien des problèmes en laissant couler.

Parlera-t-on de ça aujourd'hui, à Ottawa? J'en doute.