La rencontre avec les leaders des Premières nations à laquelle le premier ministre Harper a finalement consenti sera difficile. Difficile, parce que le sort d'un grand nombre d'autochtones est tragique. Difficile, parce que le gouvernement conservateur a coupé les ponts. Difficile aussi, parce que les pistes de solution sont loin d'être évidentes.

Le point de départ semble clair. Il y a, au Canada, un tiers-monde intérieur. Une situation inacceptable que la majorité a un devoir de résoudre, parce que le sort actuel des autochtones s'explique largement par une histoire de conquête et de dépossession. Mais nous pouvons aussi constater que les efforts pour corriger la situation, le plus souvent sincères, tout comme les milliards que l'on dépense, n'ont pas permis les progrès souhaités. Cet échec collectif devrait nous amener à poser des questions sur la façon dont nous abordons cet enjeu.

La première question porte sur la culture. Ce qui définit les autochtones, plus que la génétique, ce sont leurs valeurs - traditions, spiritualité, conception du monde - très éloignées de celles qui prévalent dans les sociétés industrialisées. Si éloignées, en fait, que la plupart des immigrants sont plus proches des Canadiens de souche que ne le sont les Premières nations. Un grand nombre d'autochtones ne veulent pas délaisser ces valeurs qui sont au coeur de leur identité.

Nous nous retrouvons ainsi dans la situation où l'on veut assurer aux autochtones un niveau de vie digne de citoyens d'un pays riche, tout en sachant que bon nombre d'entre eux rejettent la plupart des moyens qui permettaient d'atteindre ce même niveau de vie.

Souvent, leurs valeurs sont difficilement compatibles avec le progrès tel qu'on le conçoit dans les sociétés industrielles, qui repose sur la propriété, sur une conception du travail et surtout, sur la transformation de la nature. Même s'il y a des cas de succès économiques autochtones, on n'a pas encore trouvé de modèle généralisable, capable de concilier ces valeurs autochtones avec la création de richesse.

La deuxième question porte sur le territoire. Les droits territoriaux sont au coeur des revendications autochtones. On peut le comprendre: le contrôle d'un territoire, c'est l'assise du pouvoir, une maîtrise sur la destinée, et parfois la clé de la richesse. Mais ce cadre territorial est aussi une arme à double tranchant, qui mène à la logique des réserves et à la ghettoïsation, qui engendre des injustices entre groupes selon le hasard de la géologie. Il est également impuissant à faire face au principal défi, le fait que, maintenant, 60% des autochtones ne vivent plus dans les réserves et qu'ils ont eux aussi des droits, comme vient de trancher la Cour fédérale.

La troisième question porte sur la gouvernance. Cette semaine, le gouvernement Harper a rendu public un rapport sur la mauvaise gestion de la réserve Attawapiskat, dans ce qui ressemble à une typique manoeuvre des conservateurs pour discréditer la gréviste de la faim qui les a embarrassés, la chef Theresa Spence. Mais le problème des réserves mal gérées est réel. Il s'explique en grande partie par le fait qu'un grand nombre de communautés sont trop petites pour avoir le talent et les connaissances pour gérer des millions et résoudre des problèmes complexes. Une impuissance qui nourrit le paternalisme des autorités fédérales.

Et pourtant, il est souhaitable que les Premières nations acquièrent davantage d'autonomie. Une solution ne serait-elle pas de tendre vers des gouvernements autochtones supra-territoriaux, capables d'assurer des services communs, avec la masse critique pour assurer une meilleure démocratie, une meilleure gestion, et une meilleure prise en charge de la majorité, qui ne vit pas dans les réserves?

Voilà donc une chronique avec beaucoup de questions, et peu de réponses. J'ai bien l'impression que nous en sommes tous là.