Il était 7h15, hier matin, lorsque le téléphone a vibré. Après une nuit blanche passée à négocier et à célébrer sobrement l'entente de principe intervenue deux heures plus tôt pour mettre fin à 113 jours de lock-out, Mathieu Darche était déjà à bord d'un taxi.

Il roulait en direction de l'aéroport La Guardia.

La convention collective, le montant intégral, le plafond salarial, la durée des contrats, les fluctuations annuelles de salaires, le fonds de retraite, les discussions internes orageuses, les négociations plus orageuses encore avec les adversaires de la LNH et tous les maux de tête qu'ils ont provoqués ne comptaient plus. Ou pas vraiment.

Au lieu de profiter de la chambre luxueuse qu'il occupait depuis trop longtemps au centre-ville de New York pour récupérer une portion des heures de sommeil perdues dans le cadre de ces semaines de négociations difficiles, Darche avait un autre défi à relever: trouver une place à bord du prochain avion en direction de Montréal, pour ensuite filer en vitesse vers l'aréna de Candiac afin d'assister au match de hockey que Benjamin, l'aîné de ses deux fils, devait disputer à midi.

Comme il a sauté à pieds joints dans la négociation de la convention collective, Mathieu Darche - ainsi que ses collègues Chris Campoli, Ron Hainsey, Martin St-Louis, Shane Doan et tous les joueurs qui ont mis l'épaule à la roue au cours des 113 derniers jours - a aussi dû mettre la famille de côté un brin ou deux.

L'aventure a été difficile. Peut-être même plus difficile qu'il ne l'avait anticipé. Mais elle en a valu le coup.

«Je suis vraiment fier de ce qu'on a accompli. Il y aura sans doute des gars qui seront déçus. Qui contesteront le projet de convention. Mais je ne suis pas gêné du tout de leur présenter cette entente», m'a lancé Darche, avant de payer la course de son taxi.

La paix pour dix ans

Qui sort gagnant de ce conflit? Qui en sort perdant? Darche a refusé de triompher. Il ne s'est pas non plus incliné. Il s'est en fait gardé de trop commenter une entente que personne ne voudrait compromettre avec des remarques qui susciteraient l'ire du camp opposé.

À mes yeux, les grands gagnants sont les partisans, qui sont assurés d'une paix syndicale pour au moins huit ans. Peut-être même dix si les deux parties décident de passer outre leur droit de retrait après les huit premières années de la convention qui reste à être ratifiée.

Cette entente de principe est aussi la victoire des modérés. Des modérés dans le camp des propriétaires, qui ont su mettre de la pression sur Bettman pour qu'il ouvre son jeu au cours des dernières semaines. Des modérés dans le camp des joueurs, qui ont tout fait pour désamorcer le processus de dissolution de l'Association. Un processus qui aurait facilement pu entraîner l'annulation complète de la saison 2012-2013. Et - qui sait? - peut-être celle de l'an prochain également.

Bettman c. Fehr

Comme la LNH a obtenu le partage à 50-50 des revenus, il est normal de conclure que Gary Bettman vient de gagner la guerre. Une guerre qui était inégale considérant qu'il comptait sur l'artillerie lourde, alors que Donald Fehr s'appuyait sur des commandos.

Bien que désavantagé, Fehr ne s'est toutefois pas contenté de jeter les armes. Que non! Le dernier mois lui a d'ailleurs permis de remporter plusieurs batailles qui, les unes ajoutées aux autres, lui permettent de sortir la tête bien plus haute du champ de bataille que son rival.

Le 6 décembre dernier, lorsque Bettman et son bras droit Bill Daly ont déclaré, la main sur le coeur, qu'ils étaient prêts à mourir pour limiter la durée des contrats à cinq ans, la fluctuation annuelle des salaires à 5% et la durée de la convention à dix ans, Donald Fehr a demandé à ses joueurs de lui faire confiance. Il a dit qu'il obtiendrait davantage.

Il a tenu promesse. La durée des contrats est maintenant de sept ans. La fluctuation des salaires a plus que doublé. Vrai que la durée de la convention est demeurée à dix ans, mais à mes yeux, c'est aussi un avantage pour les joueurs.

Et Fehr ne s'est pas arrêté là: il a obligé la LNH à faire passer le plafond salarial de 60 à 64,3 millions au cours des dernières heures de la négociation, dans la nuit de samedi à hier.

Il a aussi gagné sur le plan du régime de retraite alors que la Ligue sera désormais responsable des pertes, si pertes il y a. Dans les faits, ce gain au chapitre du régime de retraite est le seul véritable gain en comparaison de la convention signée après le lock-out de 2004-2005. Mais il est beaucoup moins important à mes yeux que toutes les petites batailles remportées au cours des dernières semaines.

La vie après la guerre

Et le match auquel Mathieu Darche tenait tant à assister? Malheureusement, le petit Benjamin et ses coéquipiers de rang novice ont encaissé une défaite de 4-1. «C'est pas grave. Il était bien content de me voir avant la partie et je suis bien content d'avoir vu le match. Car au-delà du revers, je crois qu'il a déjà des meilleures mains que son père.»

Parlant du père: maintenant que la convention collective est réglée, ou presque, celui-ci doit se trouver du travail.

Comme joueur? Comme négociateur?

Mathieu Darche veut encore jouer. Et jouer dans la LNH. Parce que le Canadien l'a laissé tomber l'été dernier, c'est dans l'un des 29 autres vestiaires que le vétéran, qui pourrait facilement remplir un rôle de soutien encore cette année, devra se retrouver.

Est-ce possible? Certainement!

Mais que cette offre tombe du ciel ou non, Mathieu Darche ne sera pas démuni. Armé de son bagage universitaire et du cours accéléré en administration des affaires que les trois derniers mois viennent de lui offrir, il aura un meilleur coup de patin et de meilleures mains lorsqu'il évoluera sur la patinoire du vrai marché du travail, plutôt que sur celles de la LNH...

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