Quand Louise est née - elle a 12 ans, maintenant -, son papa était bien content que ce soit une fille, sa deuxième. T'es sûr? l'a taquiné sa femme. Ça me dérange tellement pas, a dit le papa. Il a expliqué pourquoi ça ne le dérangeait pas que ce ne soit pas un garçon: pas d'esclavage!

Pas d'esclavage?

Pas de hockey! Pas de longues heures dans les arénas mal chauffés, pas d'autres parents qui ronchonnent dans les gradins parce que le coach ne fait pas assez jouer leur fils, pas de café dégueulasse dans un verre de styrofoam et la petite paille en plastique rouge pour le tourner, et surtout - surtout! - pas de tournois à Laval.

Pas de patins à lacer, pas de bas de laine à enfiler, pas de combine, de protège-cou, pas de coudes, pas de jockstrap, pas de gants, pas de jambières...

Bref, vive les filles.

Quand Louise a eu 9 ans, un jour, elle a dit à sa maman: Maman, dimanche à l'aréna Saint-Louis (à 10 minutes de chez elle), y a des essais pour le hockey, j'aimerais y aller...

Sa mère cherche encore comment sa fille a su pour ces essais. Du hockey?

Oui, ils vont choisir des filles pour faire une équipe.

Mais t'as jamais joué, t'as même pas d'équipement.

Sont allées pareil. Elles ont été accueillies par Lisa, qui organisait ce mini-camp de recrutement. Pas d'équipement? a dit Lisa, une belle madame originaire de La Malbaie. On va t'en prêter, de l'équipement.

Louise a adoré ça. C'est ce qu'elle a répondu quand sa mère lui a demandé à travers la grille de son casque:

Pis?

J'adore ça!

Aujourd'hui, Louise a 12 ans. Elle joue à la défense des Canadiennes, des pee wee A. Lisa, la dame de La Malbaie, est coach adjointe.

Louise ne manque pas un entraînement, pas un match. Elle enfile toute seule les 22 pièces d'équipement - les patins, les coudes, les bas, la combine, le chandail, le short, le protège-bouche, les jambières.

Pas de jockstrap, quand même?

T'es bête. Mais si. Les filles aussi portent un jockstrap.

Quand c'est un match et que c'est la maman qui accompagne, elle envoie des textos au papa: elle vient d'embarquer. Belle passe. Tir raté. Toujours 1-0 pour nous. Quand c'est le papa, il bougonne si l'entraîneur fait sauter le tour de sa fille.

Des tournois à Laval? Bien sûr! Il y en avait justement un, il y a 15 jours. Les Canadiennes se sont rendues en finale contre les Rebelles. C'était 2-2 à la fin du temps réglementaire. Louise était sur la glace pour les deux buts des Rebelles, tous les deux enfilés par la petite Hébert. La petite Hébert pourrait jouer dans le AAA, si elle voulait. Même dans le AAAAA, si y en avait. Pour son deuxième but, elle a passé à côté de Louise, comme ça, un courant d'air...

Quand Lisa, la coach adjointe des Canadiennes, a voulu renvoyer Louise sur la glace après ce deuxième but, Louise a dit: Ça me tente pas, je joue trop mal!

Comment ça, ça te tente pas? Envoye sur la glace.

Finalement, les Canadiennes ont gagné en tirs de barrage. La maman de Louise m'a montré une photo de groupe après le match, Canadiennes et Rebelles rassemblées.

Elle est où, ta Louise?

Ici, la petite blonde. Tu trouves pas qu'elle a du P.K. Subban dans le nez?

Prochain entraînement le 12 janvier.

Comment ça, y a pas de hockey?

J'exagère

Ainsi mon journal - Seigneur! MON JOURNAL - a choisi pour athlète de l'année 2012 un skieur acrobatique. J'ai dit fuck, on n'est même plus les gardiens d'un minimum d'orthodoxie. J'étais un peu fâché. Mais au fond, je ne vois pas pourquoi je m'énerve. Il en est du sport comme de la culture en général: les pirouettes, les acrobaties - comme dans «ski acrobatique» - prennent évidemment le pas sur le fond - comme dans «ski de fond», par exemple. Je ne vois pas pourquoi je m'énerve, c'est pareil en tout. En littérature aussi, la pirouette pogne plus que le fond, et en musique, et en art, et à l'école. En tout, dis-je.

C'est pas d'aujourd'hui que les gens préfèrent Dostoïevski à Tchekhov, San Gimignano à Trieste, Miles Davis à Coltrane. C'est comme ça.

J'ai rien contre les pirouettes, mais pourquoi à ski? Il y a déjà un sport pour les pirouettes, cela s'appelle la gymnastique. Dans les exercices au sol en particulier, les gymnastes, nu-pieds, virevoltent dans les airs avec une grâce que n'auront jamais des skieurs boudinés, paddés, en bottines.

Ce n'est pas seulement la grâce. Ça prend 10 ans pour devenir gymnaste, ça prend un après-midi pour apprendre à faire des niaiseries sur une pente de ski. J'exagère? Ben oui, j'exagère: vous ne comprenez rien quand je n'exagère pas.

Ces pirouettes, formatées exprès pour la télé, sont devenues olympiques après que les J.O. d'hiver sont passés de 10 jours à 2 semaines. Chasse gardée d'une demi-douzaine de pays tout au plus, dont le Canada, qui n'en finit plus de compter ses médailles en pirouettes. De la mi-novembre à la mi-avril, les bulletins de sport d'un océan à l'autre se pètent les bretelles: une autre belle récolte - récolte! on dirait des patates - une autre belle récolte pour nos Canadiens en bosses, en skicross, snowboard, snowboard cross, halfpipe, et quoi encore?

C'est bon pour le moral de la nation. Et puis ça fait oublier que, dans les vrais sports, la dernière fois qu'un Canadien a gagné un grand marathon, Boston, New York, Londres, c'était en 1823. Ben oui, j'exagère encore.

L'EXPLOIT DE L'ANNÉE

D'ici, bien sûr, la victoire inattendue de Ryder Hesjedal au Tour d'Italie (qui vaut bien une victoire dans un grand marathon). Un Tour d'Italie comme on n'en avait pas vu depuis longtemps, Hesjedal qui, la veille de l'arrivée, survit dans la montée du mythique Stelvio, le plus haut col d'Italie, et qui gagne le Giro le lendemain dans le contre-la-montre de Milan. Hesjedal comme Coppi et Bartali. Les spécialistes européens n'ont jamais vu venir ce Canadien, ils ne sont d'ailleurs pas convaincus qu'il puisse répéter son exploit. Pourraient bien être surpris une seconde fois, au Tour de France, par exemple.

LES JEUX

Ma médaille olympique va à l'équipe féminine américaine de gymnastique, menée par la lumineuse Gabby Douglas. Mes citrons vont au show de Pistorius et à la performance de l'arbitre dans la demi-finale de soccer Canada-États-Unis.

LE CONTE DE FÉES

La plus belle histoire de l'année? Celle de Jeremy Lin, le petit garde des Knicks de New York. Sorti du banc (et de Harvard, qui n'est pas précisément la pouponnière de la NBA), Lin, le réserviste qu'on allait renvoyer dans les ligues mineures, a brûlé les planchers jusqu'à sa blessure à un genou. Passé aux Rockets de Houston, il a signé un contrat de 25 millions pour trois ans. Remis de sa blessure, il a repris presque là où il avait laissé avec les Knicks, mais plus personne n'en parle. L'histoire a déjà été racontée; next...

Vous avez noté? Pas un mot de Lance Armstrong. Les grandes douleurs sont muettes.