Après des années de tergiversations, les pharmaciens pourront bientôt jouer un plus grand rôle dans le système de santé. Ils pourront entre autres renouveler des prescriptions et, dans certains cas, prescrire des médicaments eux-mêmes sans que le patient ait à consulter un médecin.

Il était temps. L'entente entre le Collège des médecins et l'Ordre des pharmaciens, annoncée par le ministre de la Santé, Réjean Hébert, va permettre de mieux utiliser l'expertise des professionnels de la santé que sont les pharmaciens, de réduire la pression sur les omnipraticiens, et surtout, de faciliter la vie à des milliers et des milliers de patients.

Cette réforme tombait sous le sens. Mais elle a quand même suscité des réserves et des inquiétudes. De nombreux commentateurs ont évoqué le risque de conflits d'intérêts dans lesquels les pharmaciens pourraient se placer. Essentiellement parce qu'ils pourraient recommander des médicaments pour se mettre de l'argent dans les poches.

Ces craintes ne résistent pas à l'analyse quand on regarde de près les modalités du nouveau régime. Mais le fait même qu'on les exprime est significatif. La sacralisation de la santé introduit un élément irrationnel dans les débats publics. Il suffit que les mots santé et privé soient associés pour déclencher des réflexes conditionnés.

Les pharmacies sont des commerces. Le caractère marchand de l'exercice de la profession fait des pharmaciens les moutons noirs d'un système de santé essentiellement public. Le caractère privé de leurs activités explique sans doute le retard du Québec à les intégrer dans le réseau.

Cette méfiance irrationnelle, on la voit dans cette évocation d'un risque de conflit d'intérêts, réside dans le fait que les pharmaciens seraient à la fois juge et partie. Ce type de situation existe dans la plupart des professions. Les avocats, les architectes, les dentistes proposent à leurs clients des projets ou des interventions pour lesquels ils seront eux-mêmes rémunérés. Même les médecins le font, en décidant de la fréquence des visites de leurs patients.

Pour les pharmaciens, comme pour les autres professions, il existe des outils pour gérer ces situations. Le premier, rappelons-le, c'est la probité, le professionnalisme et le dévouement des professionnels. Mais il existe en plus tout un arsenal de mécanismes - codes d'éthique, ordres professionnels, comités de discipline.

Voilà pour la théorie. Mais le plus curieux, c'est que tout ce débat se dégonfle quand on regarde ce que permettra le nouveau cadre. Les pharmaciens pourront prolonger les ordonnances d'un médecin. Aucun potentiel d'abus. Ils pourront ajuster des doses. Là non plus. Ils pourront montrer aux patients comment prendre leurs médicaments. Toujours pas. Ils pourront interpréter des résultats d'analyses. Toujours rien.

La seule fonction qui, théoriquement, poserait problème, c'est le pouvoir de prescrire des médicaments quand un diagnostic n'est pas requis, c'est à dire quand le problème de santé est évident. Mais il n'y a que 11 cas où ce sera possible, comme l'herpès labial, les vaginites, la diarrhée du voyageur, la prévention du paludisme, la nausée des femmes enceintes.

Ce sont tous des cas où un traitement est nécessaire. Soit le pharmacien prescrira au patient un médicament qu'auparavant un médecin aurait prescrit, ce qui ne change rien. Soit il remplacera un médicament que le patient pouvait choisir lui-même sur les tablettes par un médicament à ordonnance, plus efficace et remboursé.

Les risques d'abus sont donc infimes et insignifiants. Il faudra attendre longtemps avant qu'un pharmacien délinquant se paie un condo en Floride à coups de prescriptions inutiles pour des vaginites ou des feux sauvages.

Voilà le genre de débats qu'on n'aurait pas si, au lieu d'aborder les questions de santé avec une grille dogmatique, on pensait d'abord aux intérêts et aux besoins des patients.