Justin Trudeau affirme vouloir éviter la langue de bois, au risque, parfois, de se mettre dans le pétrin. Il faut reconnaître que depuis qu'il s'est lancé en politique, il y a plus de cinq ans, il vit dans le pire des deux mondes: ou bien il ne dit rien (ou pas assez) et ses détracteurs l'accusent d'être une coquille vide, ou il s'avance sur des sujets controversés et en dit trop.

Chose certaine, M. Trudeau a démontré une capacité étonnante à mettre les pieds dans les plats, au point d'inquiéter ou d'indisposer sérieusement quelques-uns des ses plus ardents supporteurs.

Depuis 2007, Justin Trudeau a dû s'excuser publiquement au moins trois fois pour des déclarations controversées, en plus de devoir patiner à reculons à plusieurs occasions dans des dossiers délicats, le dernier en date étant cette histoire de registre des armes à feu.

Il a d'abord dû s'excuser publiquement en mai 2007 auprès des Acadiens, un groupe pourtant acquis aux libéraux et qui voue un culte à feu son père, Pierre Elliott, pour avoir déclaré qu'il vaudrait mieux ne plus séparer francophones et anglophones dans les écoles du Nouveau-Brunswick. Dire cela à des gens qui se battent fièrement depuis toujours contre l'assimilation par la majorité anglophone démontrait un manque de sensibilité qui avait causé l'émoi en Acadie.

Même son frère, Alexandre, lui a reproché cette sortie, tout comme le député Dominic Leblanc, Acadien et fidèle supporteur de la famille Trudeau.

Réprimandé par plusieurs libéraux, dont son chef de l'époque, Stéphane Dion, Justin Trudeau avait reculé, s'excusant platement auprès des Acadiens en ces termes: «Comme eux, je crois que les institutions francophones sont essentielles à leur épanouissement. La dualité linguistique et la gestion scolaire francophone au Nouveau-Brunswick sont enchâssées dans notre Constitution. C'est un héritage libéral dont je suis très fier.»

Un recul en règle. Comme c'est souvent le cas avec Justin Trudeau.

Indulgent, Stéphane Dion avait eu cette phrase: «Il arrive à tout le monde de faire des déclarations qu'on a à clarifier par la suite, et il ne faudrait pas le juger à tout jamais pour une déclaration.»

Non, en effet, on ne tire pas de conclusions définitives à partir d'une déclaration malheureuse, mais la chose s'est reproduite encore et encore pour Justin Trudeau.

Quelques mois plus tard, en février 2008, Justin Trudeau remettait ça en disant que les Canadiens qui ne parlent qu'une langue sont paresseux.

Les conservateurs et le Nouveau Parti démocratique avaient sauté à pieds joints sur cette déclaration et affirmé que Justin Trudeau insultait des millions de Canadiens unilingues.

Les conservateurs avaient demandé au chef libéral d'alors, Stéphane Dion, d'exiger des excuses de son jeune député, et ils avaient publié un communiqué intitulé «D'autres insultes de la part de l'élitiste Justin Trudeau». Effectivement, Justin Trudeau avait présenté des excuses. Une autre retraite... On dit qu'une faute avouée est à moitié pardonnée, mais dans le cas de M. Trudeau, le danger croît avec l'usage.

Vous pouvez être certain que les conservateurs ont gardé cette déclaration dans leur manche pour usage publicitaire ultérieur, comme ils avaient gardé les propos du député de Papineau, aux Francs-tireurs, sur l'Alberta. Collectionner les faux pas de ses adversaires et jouer sur l'élitisme, c'est une recette éprouvée pour les conservateurs.

Le cas du registre des armes à feu est différent parce que les propos de M. Trudeau reflètent ce que plusieurs libéraux pensent. Idem chez les néo-démocrates: ce registre crée un malaise. En région, même au Québec, le registre des armes d'épaule a longtemps été un objet de mécontentement majeur pour les électeurs.

Ailleurs au pays, les conservateurs ont joué à fond sur la haine profonde des chasseurs et des fermiers à l'égard du registre mal aimé.

En ce sens, Justin Trudeau se fait l'écho de ce qu'il a entendu au caucus libéral depuis des années. Mais c'est la manière qui cloche.

D'abord, dire quelque chose de controversé (le registre a été une erreur, il ne faut pas le relancer et, surtout, posséder une arme à feu fait partie de l'identité canadienne), puis reculer, marcher sur sa peinture, comme dirait Jean Chrétien. Bref, improviser au gré des crises qu'on crée soi-même.

La seule chose qui est claire dans les déclarations de M. Trudeau à propos du registre des armes à feu, c'est que sa position... n'est pas claire. Et ce gars-là veut diriger le Parti libéral et, éventuellement, le Canada?

D'autres dérapages

On reproche beaucoup ces jours-ci à Justin Trudeau de parler trop. Trop vite, surtout.

Un peu comme en 2006, lorsqu'il s'était prononcé vigoureusement contre la reconnaissance de la nation québécoise, ce qui lui avait valu une pluie de reproches au sein même de l'aile québécoise du Parti libéral du Canada (PLC).

Même chose il y a quelques mois, à l'émission de Franco Nuovo à Radio-Canada, durant laquelle Justin Trudeau a dit qu'il pourrait envisager la souveraineté si le Canada continuait de virer à droite - une autre déclaration qui reviendra certainement le hanter.

Parfois, par contre, ses détracteurs lui tombent dessus à bras raccourcis parce qu'il ne dit rien, comme lors de son récent passage à Tout le monde en parle.

Reste à voir si ses adversaires dans la course à la direction du PLC tenteront d'embarrasser Justin Trudeau avec ses déclarations passées dans certains dossiers ou avec son manque de contenu dans certains autres.

Pour le moment, il n'y a pas de vrai bagarreur dans l'arène, mais si Justin Trudeau continue de gaffer, d'autres candidats pourraient être tentés de se lancer dans la course. Ils pourraient même être encouragés à le faire par l'establishment du parti.

Après Paul Martin, Stéphane Dion et Michael Ignatieff, les libéraux ne peuvent se payer le luxe de choisir un autre chef vulnérable à la formidable machine à broyer des conservateurs.