Certaines mauvaises idées ressemblent à de mauvaises herbes. Elles repoussent quand on croyait s'en être débarrassé. C'est le cas du prix unique du livre, une mesure qui consiste à interdire aux détaillants, le plus souvent des grandes surfaces, de vendre les livres au rabais.

Mme Marois, comme elle l'a fait avec de nombreuses autres causes militantes, a ouvert cette porte, à la grande joie du monde du livre. «De même, disait-elle dans son discours inaugural, pour appuyer nos auteurs, éditeurs et libraires, nous mettrons en place une commission parlementaire sur la pertinence d'une loi sur le prix unique du livre et de ses impacts.»

La cause est certainement juste. Il s'agit de protéger les petits libraires, fragiles, qui jouent un rôle important pour guider les lecteurs et leur offrir un éventail de titres, contre la concurrence des géants, comme Costco, qui vendent des best-sellers en vrac, parfois 25% moins cher que chez les libraires.

Les ventes des grandes surfaces ne sont pas colossales; 31 millionssur un total de 299 millionspour les sept premiers mois de l'année, soit 10,4%. Mais elles écrèment le marché, privant les librairies de ventes faciles. Je ne nie pas ce problème. Mais je m'interroge sérieusement sur la solution, attrayante au premier abord, mais bourrée d'effets pervers.

Par définition, le prix unique, en limitant les rabais, mène à une augmentation du prix des livres. Pour aider les libraires, on demandera donc aux consommateurs, dans ce cas-ci des lecteurs, de payer la note.

Cela pose une question philosophique. Au profit de qui doit-on établir les politiques culturelles? Dans ce cas-ci, on pénalise les utilisateurs de l'activité culturelle - les lecteurs - sans pour autant vraiment aider les créateurs - les auteurs québécois - pour plutôt soutenir le réseau de distribution.

C'est un choix douteux, à plus forte raison au Québec, qui a beaucoup de chemin à faire pour valoriser la lecture. Les Canadiens ne sont pas de gros lecteurs, et à l'intérieur du Canada, c'est au Québec que les habitudes de lecture sont au dernier rang. 55% des Canadiens sont des lecteurs réguliers de livres et 48% lisent des ouvrages littéraires. Au Québec, ces proportions tombent à 46% et à 37%.

J'aimerais qu'on m'explique comment on pourra encourager les gens à lire, ce qui est crucial pour une nation qui doit soutenir sa langue, en leur demandant de payer plus cher pour leurs livres, une mesure qui risque surtout d'affecter ceux dont les habitudes de lecture sont moins bien ancrées. D'autant plus qu'une bonne façon d'encourager la lecture, c'est de s'assurer que le livre rejoigne les gens, qu'il soit accessible là où ils sont, y compris dans les Costco de ce monde.

Le plus comique, c'est que les principaux bénéficiaires de cette politique ne seront pas nécessairement les petits libraires indépendants. Les patrons français des deux géants du livre, Hachette et Gallimard, ont lourdement appuyé l'idée du prix unique au Québec! Par affection pour les libraires du Saguenay? Non. Parce qu'ils ne seront plus obligés de consentir des ristournes aux gros acheteurs.

En outre, une portion considérable de l'effort exigé des lecteurs profitera aux grandes chaînes de librairies, comme Renaud-Bray ou Archambault, qui dominent le marché et qui n'ont pas besoin cette béquille.

Déjà, il y a quelque chose d'illusoire à réglementer le marché du livre classique à l'heure des achats en ligne et des livres électroniques. Mais si on veut aider les petits libraires, il faudra trouver autre chose que le prix unique du livre, une mauvaise politique, qui nuira à la lecture et qui ne réussira pas à aider ceux qu'elle est censée aider.