Quand CNN a déclaré Barack Obama gagnant, vers 23 h 15, mardi, Alicia Modeen s'est mise à pleurer. C'était des larmes de soulagement, mais aussi de fatigue. L'étudiante en droit était venue de New York pour participer à la grande bataille de l'Ohio. «Dans la seule journée d'hier, nous avons fait 16 000 appels téléphoniques pour Obama. Je suis épuisée. Mais je suis si heureuse», disait-elle en s'essuyant les yeux.

Il y a quatre ans, j'avais suivi l'élection présidentielle américaine à Manchester, au New Hampshire. L'annonce de l'élection de Barack Obama avait déclenché une explosion de cris et de chants dans le camp démocrate. C'était un peu l'exaltation des premières fois. Hier, les émotions exprimées à l'hôtel Hilton de Columbus, où étaient rassemblés les partisans du président, étaient d'une autre nature. Mais tout aussi intenses.

«En 2008, il y avait ce sentiment d'espoir, se souvient Alici Modeen. Aujourd'hui, nous sommes confiants. Mais la bataille a été beaucoup plus dure qu'il y a quatre ans.»

Dans la salle remplie à craquer, d'autres militants pro-Obama abondaient dans le même sens. Comme Laura Kogan, 28 ans: «En 2008, nous avons défoncé des barrières en élisant un premier président noir. Nous ne savions pas ce qu'il allait faire, c'était l'inconnue. Mais cette fois, la campagne a été si agressive!»

Fidèle à sa réputation, l'Ohio, considéré comme incontournable pour accéder à la Maison-Blanche, a penché en faveur de Barack Obama.

Les deux candidats se sont battus pour l'Ohio jusqu'à la toute fin. Hier encore, l'avion de Mitt Romney, celui de son colistier Paul Ryan et l'appareil du vice-président Joe Biden se sont posés presque au même moment sur le tarmac de l'aéroport de Cleveland, pour un dernier sprint électoral.

«Ce vote en dit beaucoup sur le pays que nous voulons», s'est exclamée hier soir une autre militante démocrate, Becky Blatt. Cette impression de deux visions diamétralement opposées, de deux pays en un était frappante dans les conversations avec les électeurs des deux camps.

J'ai passé une partie de l'après-midi d'hier dans un bureau de vote situé dans un centre communautaire au nom improbable: le Temple d'Aladin. J'y ai rencontré Tim Bahen, enseignant d'histoire au secondaire, qui n'a pas hésité une seconde devant l'écran électronique avant de désigner son candidat à la présidence: Mitt Romney. Pourquoi? «Parce que c'est un homme d'affaires. Parce que nous avons besoin de changement. Les quatre dernières années ont été un désastre.» Et l'opération de sauvetage de l'industrie automobile, qui fournit du travail à une personne sur huit en Ohio? «Il fallait laisser les entreprises faire faillite, et se reconstruire toutes seules.»

Quelques minutes plus tard, Sarah Arnholt a émergé du même bureau de vote. Serveuse chez Starbucks, elle a voté pour Barack Obama. «Je lui fais confiance, il travaille pour des gens comme moi, il se soucie de la justice sociale. Et j'avais peur qu'avec Mitt Romney, les femmes perdent des droits, qu'on retourne dans les années 50.»

Ces deux témoignages résument assez bien les motivations des électeurs des deux camps que j'ai rencontrés dans des rassemblements politiques, des cafés et des bureaux de vote au cours des quatre derniers jours. J'ai entendu de nombreux partisans du candidat républicain vanter ses qualités de businessman, dire qu'il est le mieux placé pour sortir leur pays du marasme, créer des emplois - et aussi, défendre les valeurs traditionnelles, avec, en premier plan, les droits des enfants non nés.

Les électeurs pro-Obama, quant à eux, jugent plutôt que pendant ses quatre années de présidence, Obama a fait ce qu'il a pu devant des adversaires sans pitié, qui étaient prêts à tout pour l'empêcher de remporter un deuxième mandat. Qu'il a mis un terme à la guerre en Irak, instauré sa réforme de l'assurance maladie. Qu'il protège les acquis des femmes contre les attaques de la droite républicaine.

La peur d'un recul vers une ère d'obscurantisme social a sans doute influencé quelques autres votes d'hier. Par exemple, le trésorier de l'Indiana, Richard Mourdock, celui qui avait évoqué la volonté divine dans les grossesses résultant d'un viol, a mordu la poussière contre le candidat au Sénat Joe Donnelly, dans l'État de l'Indiana. Idem pour Todd Akin, qui a aussi tenu des propos douteux sur le viol et les grossesses, et qui a été défait par Claire McCaskill, dans le Missouri. Voilà qui fait plaisir.