L'image a vraiment frappé l'imagination. Le coffre-fort d'Union Montréal, le parti du maire Gérald Tremblay, était tellement plein de billets de banque qu'on n'arrivait plus à en fermer la porte. On verra si cette révélation, faite à la commission Charbonneau par un ancien organisateur du parti, Martin Dumont, sera corroborée.

Mais elle met en relief, de façon très visuelle, ce qui est au coeur du scandale de la construction. Et c'est que l'argent que fonctionnaires, entrepreneurs et mafiosi se partageaient, c'était le nôtre. Les billets de 100$ qui seraient ainsi sortis du coffre-fort étaient, au bout du compte, ceux que des Montréalais avaient versés à travers leurs taxes municipales.

Derrière les crimes que sont la fraude, les pots-de-vin, les falsifications de factures, la collusion dans les appels d'offres, le financement illégal, il y a un autre crime, de nature morale. Et c'est la trahison.

Nos élus, et les fonctionnaires qui travaillent avec eux, comme le rappelle si bien le terme anglais de civil servant, ont pour mission de servir le public. Et dans cette fonction, ils ont le devoir d'utiliser à bon escient les fonds que les citoyens leur confient à travers les impôts. Ils sont les gardiens de ces fonds publics, ils en sont les fiduciaires.

Leurs manquements ont des conséquences évidentes - gonflement des dépenses publiques, augmentation du fardeau fiscal, baisse de la qualité des travaux effectués. Mais il y a un autre effet, dévastateur. Quand ils ne s'acquittent pas de cette fonction de fiduciaire, quand ils trahissent leur mission, ils rompent le contrat social entre les citoyens et les pouvoirs publics.

Les citoyens ont le devoir et l'obligation de verser une partie de leurs revenus en taxes et en impôts. Mais si cet argent est mal utilisé, encore plus s'il est dilapidé de façon criminelle, c'est toute la légitimité de l'édifice fiscal qui est compromis. Pourquoi payer des impôts si l'argent que j'ai gagné et économisé se retrouve dans les poches de voleurs et de profiteurs?

Cette rupture du contrat social, et l'effritement de la légitimité fiscale, bien des gens l'ont ressenti quand ils ont pris connaissance du budget que le maire Gérald Tremblay et le président du comité exécutif Michael Applebaum présentaient hier. Le timing était parfaitement surréaliste. Pendant que les révélations se multiplient sur les dérives à Montréal, le maire annonçait des dépenses de 4,484 milliards, une hausse de 3,3%. Comment ne pas se demander quelle proportion de ces 4,5 milliards se retrouvera à payer le voyage de golf d'un ripou ou le bateau d'un entrepreneur criminalisé?

On ne le saura jamais trop, parce que la plupart des débordements affectent les dépenses d'immobilisation, qui ne figurent pas directement dans le budget, et qui sont surtout financées par des emprunts. En 2013, on prévoit des immobilisations de 696 millions pour

les aqueducs, les égouts, les rues, les parcs. Sont-elles toujours gonflées? Honnêtement, il est impossible de ne pas se poser la question. Et si oui, de combien? Si les chiffres sont majorés artificiellement de 30%, ça donne 200 millions, soit 130$ par personne. Pour 2013 seulement. Est-ce réaliste? Exagéré? On ne le sait pas. Et c'est là le problème.

Les dérives ont été telles sous l'administration de M. Tremblay que personne ne pourra sérieusement croire que celui-ci pourra faire le ménage qui s'impose. D'autant plus que les soupçons qui pèsent sur l'administration municipale sont si nombreux que la rupture du lien de confiance est devenue irréversible. Le ministre responsable de Montréal, Jean-François Lisée, qui fait preuve d'une grande prudence dans ce dossier, a bien résumé la situation en disant que «le statu quo est insoutenable».