Cela fait deux mois que je dis à tout le monde que La fiancée américaine, d'Éric Dupont, sera l'événement de la rentrée littéraire au Québec.

On va pouvoir le vérifier à partir d'aujourd'hui puisque c'est aujourd'hui que La fiancée américaine sort en librairie.

Le genre de roman qui plaît à tout le monde. Je sais, dit comme ça, vous n'avez déjà plus envie de le lire! Qu'est-ce qu'il vient me faire chier, lui, avec son roman qui plaît à tout le monde? Je ne suis pas tout le monde.

OK. Je recommence. Ce sera l'événement de la rentrée parce que c'est un très grand bonheur de lecture, de ces bonheurs qui se claironnent aux premières pages des cahiers Livres - La Presse la semaine dernière, Le Devoir demain-, mais surtout de ces bonheurs qui se chuchotent entre amis... Quel livre tu disais, déjà? La fiancée américaine.

Ah oui? Et ça parle de quoi?

Eh, monsieur! As-tu quelques heures? Au début, ça parle d'une exposition agricole dans l'État de New York où se rendent les toutes jeunes soeurs Ironstone. Les imprudentes! Le regard de la plus jeune, Floria, y croisera celui de Louis Lamontagne, le plus bel homme de Rivière-du-Loup, qui, figurez-vous, a les yeux sarcelle. C'est la couleur de la bestiole du même nom: bleu tirant sur le vert-de-gris. Louis, surnommé Cheval, participait à un concours d'hommes forts. Floria, toute délicate, plante ses yeux dans ceux sarcelle de Cheval et... et cette adorable petite phrase toute seule au bas de la page 65: Floria ovula.

De cette rencontre naquit une fille, Pénélope. Ce n'est pas elle, la fiancée américaine. C'est une autre qui vient du New Hampshire, une Madeleine. Les filles doivent obligatoirement s'appeler Madeleine pour jouer un rôle important dans ce roman.

Déjà essoufflés? Ah ben là! On est pourtant juste au début. La fiancée américaine elle-même, qui donne son titre au livre, ne durera pas plus d'une trentaine de pages, et il y en a 550, écrites en tout petit.

Les bonheurs de lecture sont essentiellement de deux sortes : les bonheurs d'écriture et les bonheurs d'histoire pour nous libérer de l'écriture. Je niaise, bon. Avec un imparfait du subjonctif dès le second paragraphe, on ne peut pas dire que l'écriture ait été négligée. Je niaise encore. C'est juste que je viens d'en parler au téléphone avec l'éditrice, Mélanie Vincelette, qui n'approuve pas ce subjonctif-là. L'imparfait eût suffi, disait-elle.

Mélanie est l'éditrice de la toute petite maison d'édition Marchand de feuilles. C'est d'ailleurs un autre des nombreux bonheurs de ce livre-là: il n'est pas publié chez Boréal. Pour vous dire comme les bonheurs viennent en grappe, non seulement La fiancée américaine n'est pas publié chez Boréal, mais il ne sera pas lancé au Port de tête, la librairie du Tout-Montréal littéraire, qui faisait sa vitrine, quand je suis passé l'autre jour, avec 450 exemplaires du même roman, On achève parfois ses romans en Italie. Achève-les où tu veux, Chose, mais tu devrais les faire relire avant de les envoyer à l'imprimerie. Pour parler d'une fille avec des livres sous le bras: «Les aisselles foisonnant de livres»... LES aisselles? Les deux? Elle se gratte comment, quand ça la pique?

Un avion qui décolle: «L'avion vire dans l'espace»... Dans l'espace? Ah ben. «Un ciel violet, stupéfiant, qui découpe la ligne giboyeuse, douce, des Laurentides.» Giboyeuse? Plein de petits lapins en bas? Je n'en aurais pas parlé, n'eût été la vitrine du Port de tête, cette librairie d'où sortent les finissants des études littéraires comparées de l'UdM, les aisselles foisonnantes de Slavoj Zizek, Ariel Kyrou, Antonio Negri, Chris Hedges, bien sûr, et Jacques Rancière, forcément. Que serait une librairie sans quelques Jacques Rancière? Le rayon livres de chez Eaton? Un Renaud-Bray?

Excusez pour la digression. Où en étions-nous, avec cette Fiancée américaine? Ah oui: je vous parlais de Mélanie Vincelette, l'éditrice des éditions Marchand de feuilles, la seule du business littéraire que je n'engueule pas quand elle m'envoie des livres. Je n'en avais lu aucun jusqu'ici. La fiancée est le premier, peut-être à cause du petit mot qu'elle y a glissé: «Monsieur, voici un roman dans lequel une jeune fille tue son frère avec une tarte au sirop. Si vous ne l'aimez pas, déchirez-le en mille miettes et donnez-le à bouffer à vos ratons.»

Elle tue son frère parce qu'il la tripatouille. Jusqu'à la fin, on pense aussi que c'est son frère, le père des jumeaux qu'elle a eus, mais c'est pas son frère, lalalère. Vous ne le saurez qu'à la fin, je ne vous le dirai pas.

C'est une histoire, en fait 40 histoires enchevêtrées, qui vont de Rivière-du-Loup à New York, à Berlin, à Rome, au Japon, à Montréal. Quelques-unes tournent au tour de La Tosca, mais il y est surtout question du Québec, même quand l'auteur fait semblant de parler des Bavarois (qui sont les Québécois de l'Allemagne).

Je ne vous ai pas beaucoup parlé de l'auteur. Je ne le connais pas. Je vois qu'il est né à Amqui, qu'il est prof de traduction littéraire à McGill. Mais je peux vous rassurer: son livre n'est pas un roman de prof.

Anyway. Je voulais parler aussi, dans cette chronique, de l'historien Eric Hobsbawm, mort la semaine dernière, surtout de L'âge des extrêmes - ce portrait du XXe siècle qui se lit comme un roman -, et, dans un genre complètement différent, parler enfin d'un petit essai italien sur la beauté de l'imperfection, Les lieux et la poussière, Roberto Peregalli, chez Arléa. Un petit livre pour haïr encore plus le design, qu'on ne hayiiit jamais trop. Peut-être y reviendrai-je demain dans ma chronique régulière.