Le prix de l'essence a atteint un niveau historique à Montréal, mercredi. 1,53$. Pourquoi? Ce n'est pas clair. Ni les spécialistes, ni, à plus forte raison, les représentants de l'industrie n'arrivent à nous donner une explication complète et convaincante.

On peut comprendre pourquoi le prix de l'essence est élevé et le restera, à cause du prix du brut, des pressions mondiales sur la demande, du niveau des taxes. Mais cela n'explique pas une hausse de 13 cents d'un coup, une vraie claque pour les consommateurs, qui doivent débourser 7$ ou 8$ de plus pour un plein. Elle ne tient pas à un bond du brut. Elle ne s'explique pas non plus par les conditions de l'industrie du raffinage, puisque la même essence était moins chère ailleurs au Québec.

Les gens du secteur pétrolier nous expliquent que c'est une industrie compliquée. Soit. Mais il n'est pas sain qu'une industrie soit à ce point opaque et indéchiffrable. Il faut donc l'aider à se simplifier. Au lieu d'essayer de comprendre à chaque explosion des prix, on pourrait plutôt dire que ça suffit.

Je ne suis pas un partisan à tout crin des contrôles gouvernementaux. Mais il y a des cas où l'intérêt public et la bonne marche de l'économie exigent qu'une industrie soit soumise à des mécanismes de régulation plus musclés. Je crois qu'on en est arrivés là avec l'industrie pétrolière.

D'abord, à un premier niveau, parce que cette hausse assez sauvage nous montre que cette industrie n'est pas capable de s'autoréglementer. Car l'explication probable de la hausse, c'est tout simplement que les pétrolières croyaient qu'elles pouvaient le faire. Elles sont allées trop loin, et ont donc reculé un peu hier.

Il est vrai qu'en général, l'État exerce un contrôle sur les prix quand il y a situation de monopole. On protège les consommateurs, comme dans le cas de l'électricité, quand il n'y a pas de concurrence. Il n'y a pas de monopole dans le cas de la distribution de l'essence. Ce qui justifie plutôt une intervention de l'État, c'est la nature du produit, qui prive les consommateurs des outils de protection dont ils disposent habituellement dans un marché normal.

L'essence est un produit qui ne peut pas se stocker, qui ne permet pas de substitution, pour lequel on ne peut pas déplacer le moment de la consommation. Et donc pour lequel le consommateur est prisonnier des prix décrétés par l'industrie.

Dans le cas de la plupart des autres produits, les consommateurs peuvent réagir aux prix excessifs. Ils peuvent choisir de ne plus consommer un produit trop cher. Par exemple, ne plus aller au cinéma. Difficile pour la plupart des gens dépendants de leur automobile. Ils peuvent aussi substituer. Par exemple, manger plus de poulet si le boeuf est trop cher. Impossible avec l'essence. Ils peuvent mieux choisir le moment de l'achat: attendre les soldes d'après-Noël pour acheter un écran plat, profiter d'une promotion pour remplir leurs armoires de papier hygiénique, acheter des caisses de tomates au mois de septembre pour faire des conserves.

Tout cela est impossible dans le cas de l'essence. La seule parade du consommateur captif, c'est de rouler pour trouver de meilleurs prix dans une autre station-service, ce qui est difficile quand les détaillants s'ajustent les uns aux autres comme par magie. Et c'est parce que les consommateurs sont otages de l'industrie que les gouvernements devraient les protéger contre les fluctuations abusives.

Il ne s'agit là que d'une solution à court terme. La meilleure façon de se protéger contre les abus des pétrolières, c'est de réduire collectivement notre dépendance au pétrole. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain.