Environ une semaine avant le vote du 4 septembre, les candidats libéraux ont été informés par les organisateurs de la campagne que leur parti était en bonne position pour rafler 50 circonscriptions et qu'il fallait donc mettre toute la gomme dans une dizaine d'autres pour espérer former un gouvernement minoritaire.

Cela correspond au moment où Jean Charest s'est mis à dire, de façon un peu mystérieuse, que quelque chose se passait, notamment dans le vote par anticipation, et que son parti était toujours dans la course. C'est aussi le moment où Pauline Marois a lancé ses premiers appels pour obtenir une majorité.

Les libéraux, leur ancien chef en tête, ont beau se moquer des sondages, le fait est qu'ils ne s'en sont pas privés pour étudier le paysage électoral jusque dans ses moindres détails, circonscription par circonscription, là où ça chauffait le plus.

Chapeau, d'ailleurs, aux stratèges libéraux qui ont vu juste là où les grandes maisons de sondage se sont, disons-le franchement, plantées.

Il faut lire Jean-Marc Léger, sur Twitter, qui essaye depuis quelques jours de justifier le bide en disant que sa firme a visé dans le mille pour quatre des cinq partis, mais qu'elle a sous-estimé le PLQ de 4%. C'est un peu comme un étudiant en géographie qui se féliciterait d'avoir nommé correctement quatre des cinq pays les plus populeux, oubliant «seulement» la Chine...

Remarquez, CROP est également passé à côté. Il ne s'agit pas de distribuer les blâmes, mais plutôt de tirer les leçons.

Qu'est-ce que ces élections nous enseignent? Deux choses. D'abord, qu'il ne faut pas négliger la force des machines électorales en présence. Celles-ci font encore une différence sur le terrain, notamment pour le pointage et la «sortiedu vote «. Les médias sociaux ont pris une plus grande place dans cette campagne, mais ce phénomène reste limité aux initiés, aux branchés, à la faune politique et aux internautes politisés. Ils ne remplacent pas la bonne vieille machine de terrain.

Par ailleurs, le fric reste le nerf de la guerre en campagne, comme l'a justement noté François Legault cette semaine. Du fric, les libéraux en ont beaucoup et, de toute évidence, ils savent encore comment organiser une campagne.

L'autre leçon, c'est que notre modèle d'analyse à partir des sondages n'est pas adapté à la situation très particulière de luttes à trois et de division du vote dans certaines régions, quand ce n'est pas carrément dans une circonscription précise.

À partir des chiffres qu'on avait sous les yeux en fin de campagne, on prévoyait que les libéraux gagneraient autour de 30 sièges. Ils ont fait mieux que prévu par les sondages, gagnant 4%, ce qui s'est traduit par une récolte de 20 sièges supplémentaires. La différence est énorme, mais le tout s'est joué dans des circonscriptions, comme Vimont, Fabre ou Châteauguay, où la CAQ a vraisemblablement nui au PQ. Dans d'autres circonscriptions, comme Laurier-Dorion, notamment, c'est Québec solidaire qui a privé le Parti québécois d'un gain. De tous ces jeux à trois, parfois même à quatre, il était extrêmement difficile de prévoir l'issue.

De la tarte au AK-47

Dans les minutes qui ont suivi l'attentat du Métropolis, j'ai fouillé dans le disque dur situé entre mes deux oreilles afin de tenter de me rappeler d'autres événements du genre, ou du moins, des incidents mettant en danger un premier ministre ou un politicien.

Il y a eu Pierre Laporte en 1970, bien sûr, et l'intrusion sanglante du caporal Lortie à l'Assemblée nationale en 1984. Ces incidents sont gravés dans l'imaginaire collectif des Québécois.

Sur la scène fédérale, deux incidents, dont un aurait pu très mal tourner, ont provoqué des tensions entre Jean Chrétien et la GRC, chargée de la protection des premiers ministres.

Quelques jours après le référendum de 1995, un homme s'était facilement introduit au 24 Sussex, armé d'un couteau, avec l'intention d'attenter à la vie de Jean Chrétien. Le lendemain matin, M. Chrétien s'envolait vers Tel-Aviv pour assister aux funérailles du premier ministre israélien, Yitzhak Rabin (assassiné par un extrémiste juif). De fort mauvaise humeur en raison des événements de la nuit, il s'était arrêté à la hauteur des agents de la GRC qui l'attendaient sur le tarmac et leur avait dit: «Un peu plus et vous seriez tous en rang ici ce matin pour voir passer mon cercueil!» Il paraît que le vol Ottawa-Tel Aviv avait été très long...

Puis, en 2000, à l'Île-du-Prince-Édouard, un jeune homme s'était facilement approché de Jean Chrétien, qu'il avait entarté sans ménagement avant d'être arrêté par la sécurité.

Restée à Ottawa, Aline Chrétien, furieuse, avait téléphoné à l'officier de la GRC responsable de la sécurité du premier ministre pour lui dire ceci: «Vous savez que si cet homme avait eu un couteau au lieu d'une tarte, je serais veuve!»

Le drame du Métropolis soulève bien des questions (je ne m'explique toujours pas qu'on ait laissé Pauline Marois revenir sur scène après avoir voulu évacuer la salle et sans savoir si le tireur avait des complices), mais il met aussi en relief le difficile équilibre entre sécurité des élus et proximité avec les électeurs.

On n'est jamais à l'abri d'un désaxé, mais veut-on que notre premier ministre se déplace en papamobile?

Le ton

Il est de bon ton ces jours-ci de parler du ton qu'on devrait adopter à l'Assemblée nationale.

Il est trop tôt pour juger si les appels au respect et à la conciliation seront autre chose que des voeux pieux, mais le ton posé de Pauline Marois, la main tendue de François Legault et les nobles discours de défaite et de démission de Jean Charest agissent ces jours-ci comme un baume sur une société irritée. Et puis, il y a aussi maintenant Françoise David, qui pourra jouer le rôle de gardienne de la civilité à l'Assemblée nationale.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca