Dans les pires moments de la crise de leadership de Pauline Marois, l'an dernier, bien des gens pensaient qu'elle allait abandonner, poussée vers la sortie par son parti, comme tant d'autres chefs du Parti québécois (PQ) avant elle. Bien des gens, mais pas Jean Charest.

Loin de se réjouir des malheurs de son adversaire péquiste, l'ex-chef libéral croyait qu'elle pouvait en tirer profit. À son entourage, M. Charest avait prédit que Mme Marois resterait. Son calcul était le suivant: si elle reste, elle démontrera de la ténacité, et une défaite électorale sera plus honorable qu'une fuite maintenant. Et si elle gagne, elle sera la première femme élue au poste de chef du gouvernement du Québec. C'était gagnant-gagnant, selon M. Charest.

Bref, la bataille avant la retraite, même si cela doit mal finir. Mieux vaut mourir au champ de bataille, le glaive à la main, que fuir la contestation et l'adversité.

Jean Charest parlait de Pauline Marois mais, autour de lui, plusieurs avaient bien compris qu'il faisait de la projection et que cette philosophie valait aussi pour lui-même.

C'est effectivement dans cet état d'esprit que Jean Charest a lancé les dés le 1er août. Advienne que pourra - la défaite au terme d'une rude bataille sera plus honorable que la fuite en avant ou que la capitulation.

Jean Charest est tombé au combat, au gouvernement et dans sa propre circonscription. Mais, après 35 jours d'âpres batailles, avec une récolte de 50 sièges, soit de 15 à 20 de plus que ce qu'avaient prédit la plupart des observateurs (oui, oui, moi itou!), sa défaite est tout à fait honorable et il laisse son armée en très bon état.

On ne pourra pas dire qu'il n'est pas allé au front dans cette campagne, jouant toute la mise sur sa propre personnalité et attaquant sans relâche ses adversaires, notamment dans les débats.

Il a même admis, dans une entrevue à mon collègue Denis Lessard il y a deux semaines, s'être lancé en campagne contre la volonté de sa famille (sa femme et ses trois enfants). Voilà qui est surprenant de la part de quelqu'un qui a toujours placé la famille, le noyau, au centre de l'engagement en politique. Lorsqu'il rencontrait des candidats potentiels, il leur demandait toujours s'ils pouvaient compter sur le soutien de leur famille, seul point d'ancrage dans la mer houleuse de la politique.

Lorsqu'il est venu à La Presse, il y a 10 jours, pour la traditionnelle rencontre éditoriale, Jean Charest était accompagné de son fils Antoine, grand bonhomme dans la vingtaine. Il est resté assis dans un fauteuil à l'écart de la grande table, dans un coin de la pièce. Comme il était directement dans mon champ de vision, derrière son père, j'ai bien remarqué qu'il ne s'amusait pas beaucoup devant ce mitraillage de questions à son père. Les politiciens professionnels ont aussi une famille.

C'est là que Jean Charest est allé se réfugier, hier, révélant même qu'il sera grand-papa bientôt.

Quel souvenir laissera-t-il aux Québécois?

Tous s'entendront, je pense, pour dire que Jean Charest est un batailleur, mais il reste, après tant d'années sur la place publique, énigmatique pour bien des gens.

En personne, Jean Charest est drôle et chaleureux. Dans son entourage et auprès de ses ministres et députés, il est adoré. Pourtant, dans la population, il est perçu comme lointain et arrogant.

Par ailleurs, des gens qui l'ont côtoyé au fil des ans déplorent son manque de loyauté, son détachement.

Jean Charest, c'est aussi un premier ministre cerné, accablé par de nombreuses histoires louches, mais qui refusait de prendre le blâme pour quoi que ce soit. Hier, il a fini par accepter la responsabilité de la défaite de son parti et il a démissionné.

Après tant d'années dans le paysage politique québécois et canadien, il est difficile de croire qu'il a tourné le dos pour de bon à la politique. D'autant plus qu'il est doué (même ses adversaires l'admettent) et qu'il n'a que 54 ans.

Reviendra-t-il? Au fédéral, chez les libéraux? Son nom circule déjà, mais la suite de la carrière politique de Jean Charest ne dépend pas que des rumeurs ni même de ses ambitions. Elle dépend aussi de la commission Charbonneau, qui reprend ses travaux dans 10 jours.