Dans la circonscription de Matane-Matapédia, le candidat de la Coalition avenir Québec (CAQ), Pierre D'Amours, a parcouru 400 kilomètres et traversé 40 municipalités pour aller rencontrer les électeurs. Rien de bien exceptionnel dans une si vaste contrée, si ce n'est que M. D'Amours a fait campagne... en vélo!

Dans la circonscription voisine de Bonaventure, son collègue Jean-Marc Landry a transformé son Volkswagen Westfalia en bureau électoral roulant, dans lequel il suit notamment les vidéoconférences de son parti sur son ordinateur portable. Ce prof de cégep est sans doute le plus «flower power» de tous les candidats de la CAQ.

Dans Labelle, Robert Milot a collé ses pancartes sur son propre VR, transformé pour quelques semaines en quartier général électoral. Une idée partagée par les 21 candidats caquistes de la Montérégie, qui se partagent, selon un horaire strict, un VR qui se déplace de festival en festival. Vendredi, le véhicule était stationné au Festival country de Longueuil.

Le dicton selon lequel la nécessité est la mère de l'invention décrit parfaitement la situation de la CAQ, nouveau parti beaucoup moins riche que ses deux principaux rivaux. François Legault répète sans cesse qu'il veut changer les choses. Il est trop tôt pour savoir si les électeurs lui donneront le mandat de changer la façon de gouverner le Québec, comme il le promet, mais en attendant, ses candidats doivent réinventer la façon de faire campagne.

«Il faut que les partis apprennent à dépenser moins, c'est très sain, explique Benoît Charrette, député sortant de Deux-Montagnes, élu sous la bannière du Parti québécois (PQ), mais qui est récemment passé à la CAQ. Plus on dépense, plus on a besoin d'argent, plus les risques de mauvaises fréquentations augmentent.»

Avec le PQ, en 2008, M. Charrette dit avoir dépensé environ 35 000$. Cette année, avec la CAQ, ce sera deux fois moins. «Au PQ, on me fixait un objectif de collecte de 40 000$. À la CAQ, les comtés doivent verser 25 000$ au parti pour avoir droit au kit et aux services de campagne. Je passe moins de temps à faire du financement, ce qui me laisse plus de temps pour faire campagne et parler aux gens.»

Un candidat qui n'a pas remis les 25 000$ est privé des services fournis par le parti, explique un autre candidat caquiste.

Une telle campagne minceur force les candidats et le parti à faire preuve d'imagination, à mieux utiliser les réseaux sociaux, à cibler les publicités. Mais le manque de moyen se fait sentir, admettent les candidats de la CAQ à qui j'ai parlé.

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Traditionnellement, un candidat au Québec lance sa campagne en inaugurant son local électoral (ou même ses locaux dans les très grandes circonscriptions). Le local, c'est le quartier général, le lieu de rassemblement des bénévoles, le centre des opérations, avec les lignes téléphoniques pour pointer et faire sortir le vote et le lieu de réunion des organisateurs.

La CAQ doit faire autrement. Par souci d'économie, le jeune parti ne compte que 18 locaux à travers le Québec, la plupart de ses locaux couvrant des régions entières, comme le Bas-du-Fleuve, Montréal, Lanaudière et même Québec, où la CAQ lutte pour la première place. Certaines régions, comme le Saguenay-Lac-Saint-Jean, ne comptent aucun local de la CAQ.

Seuls quelques candidats ont leur propre local, dont Jacques Duchesneau, dans Saint-Jérôme, et Sylvie Roy, dans Arthabaska.

Sans local, ou avec un local pour toute une région, impossible de réunir les bénévoles. Ceux-ci travaillent donc de chez eux, avec leur propre téléphone, et certains organisateurs ont transformé une partie de leur salon privé ou de leur cuisine en QG pour cette campagne. (J'ai l'impression que le DGE va avoir un peu de mal à comptabiliser toutes ces petites dépenses électorales éparses, mais ça, c'est une autre histoire...)

La frugalité de la campagne pèse sur les opérations, particulièrement sur le pointage et sur l'opération «sortie du vote». «C'est certain que si j'avais plus d'argent, j'en mettrais sur des dispositifs de communication 2.0, notamment des liens avec Facebook, et sur le pointage», admet Mario Asselin, candidat dans Taschereau.

«Avec le PQ, on pouvait pointer 15 000 à 20 000 électeurs, ajoute Benoît Charrette. Cette fois, on va devoir attendre les résultats le soir du vote...»

Autre effet négatif du manque de moyens: plusieurs candidats estiment que leur chef n'a pas suffisamment voyagé au Québec, ce qui donne l'impression qu'il négligeait certaines régions.

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Cela dit, les plus optimistes ne manquent pas de rappeler que l'absence de moyens (quand ce n'était pas carrément l'absence des candidats!) n'a pas empêché le NPD de balayer le Québec l'an dernier. D'autres citent aussi la campagne du maire de Québec, Régis Labeaume, modèle de modération.

À la permanence de la CAQ, l'organisatrice en chef de la campagne, Brigitte Legault, minimise les effets négatifs de la campagne minceur.

«Les campagnes ont changé, il existe de nouveaux moyens, dit-elle. Le pointage, c'est un peu surfait. Tu appelles 100 personnes, 10 seulement répondent, dont quatre indécis, et elles ne disent pas nécessairement la vérité! On essaye d'utiliser beaucoup plus Facebook pour joindre notre monde.»

Mme Legault ne cracherait pas sur un ou deux millions de plus, qui permettraient, notamment, de faire plus de publicités télévisées, mais elle dit que les partis politiques doivent changer et se sevrer du pouvoir de l'argent. La CAQ prévoit dépenser autour de 3,5 millions, ce qui est trois fois moins que le PLQ et le PQ.

«Franchement, on me donnerait 10 ou 11 millions, je ne saurais même pas comment dépenser autant d'argent!», conclut l'organisatrice de la CAQ.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Les candidats caquistes Simon Jolin-Barrette, François Lemay et Donald LeBlanc partagent un véhicule récréatif pour faire leurs tournées électorales. Faute d'argent, le jeune parti fait preuve d'imagination.