Cherchez l'erreur. En Arabie saoudite, 58% des étudiants sont... des étudiantes. Mais une fois sur le marché du travail, les femmes ne pèsent plus qu'un maigre 15%.

Le gouvernement saoudien a décidé de s'attaquer à cet écart abyssal. Et il a accouché d'une idée qui, à ma connaissance, créerait un précédent mondial: construire des villes industrielles réservées exclusivement à une main-d'oeuvre féminine.

La première de ces villes verrait le jour dans la région de Hofuf, dans l'est du pays. Elle pourrait offrir des emplois à quelque 5000 travailleuses dans les domaines du textile, de la transformation agro-alimentaire et de l'industrie pharmaceutique. Ce vaste complexe industriel permettrait aux femmes de participer à la vie économique de leur pays sans croiser un seul homme et sans mettre en péril leur vertu.

Selon l'indice d'écarts entre les sexes dressé par le Forum économique mondial, l'Arabie saoudite occupait, en 2011, le 131e rang sur 135 pays. En matière de pouvoir politique des femmes, le royaume décroche une note tout aussi peu enviable: un gros zéro.

Et il y a de quoi. Les Saoudiennes sont traitées comme des mineures relevant de l'autorité d'un tuteur, rappelle Human Rights Watch dans un rapport récent. Elles n'ont pas le droit de voyager, d'étudier ou de travailler sans l'accord de leur protecteur mâle. Elles n'ont pas non plus le droit de voter. Et leur pays est le seul sur la planète à leur interdire de conduire une auto. Dimanche encore, la police a arrêté quatre femmes qui roulaient dans les rues de Riyad, sans aucun homme à leurs côtés.

Depuis quelques années, la monarchie saoudienne a fait quelques minuscules pas en direction d'une plus grande égalité entre les sexes. Depuis 2009, les femmes peuvent, par exemple, traiter toutes seules comme des grandes avec les différents ministères, sans passer par un intermédiaire masculin.

Après avoir promis aux femmes de pouvoir voter aux municipales de 2011, l'Arabie saoudite a repoussé cette mesure révolutionnaire aux élections de 2015. Si tout va bien, elles pourront alors aussi se faire élire à la Choura - le conseil consultatif.

En attendant de jouir de leurs droits démocratiques, les femmes ont aussi obtenu le droit de travailler dans des magasins de lingerie et de cosmétiques. Et, grande première, le pays a envoyé deux athlètes féminines aux Jeux olympiques de Londres.

La construction d'une toute première ville pour femmes a été présentée comme une mesure progressiste allant dans la même direction: donner une plus large marge de manoeuvre aux femmes. Le projet est paradoxal, car il va, du même coup renforcer la ségrégation qui existe déjà, de facto, dans les commerces et les bureaux.

Ces villes séparées répondent à un besoin réel: un récent sondage montre que 65% des Saoudiennes souhaitent jouir d'une plus grande indépendance économique. Or, 78% des diplômées universitaires n'ont pas d'emploi. En grande partie en raison des barrières qu'elles rencontrent à cause de leur sexe.

Au printemps dernier, le richissime royaume avait annoncé la construction de la plus grande université féminine au monde. Mais pour que cet investissement ne tombe pas à l'eau, il faut que ces jeunes femmes trouvent une place sur le marché du travail. Et puis, l'Arabie saoudite a une autre raison de chercher à favoriser la participation économique des femmes: elle souffre d'une pénurie de main-d'oeuvre qui l'oblige à recruter à l'étranger. La présence de huit millions de travailleurs étrangers, souvent mal traités, constitue une grosse épine au pied du royaume.

«Je suis certain que les femmes peuvent faire preuve de leur efficacité (...) dans des secteurs industriels qui conviennent à leurs intérêts, leur nature et leurs capacités», a déclaré avec condescendance le ministre des Affaires municipales, le prince Mansour bin Miteb bin Abdulaziz, en annonçant la construction de la future cité des travailleuses.

À voir le niveau d'instruction des Saoudiennes, on comprend que ce ne sont pas leurs capacités qui sont en cause, ici. Mais plutôt un système d'apartheid sexuel qui leur permettra dorénavant de mieux gagner leur vie. Mais il faut beaucoup de bonne volonté pour voir dans ces cités-prisons un signe de libération.