Le portrait se dégageant des sondages qui ont précédé le déclenchement des élections, c'est celui d'un électorat profondément divisé. Les deux vieux partis, le PLQ et le PQ, recueillent autour de 30% des intentions de vote, et semblent incapables de faire mieux, la CAQ se maintient derrière, à environ 20%.

Mais en fait, ces données reflètent moins une polarisation idéologique qu'une profonde ambivalence des électeurs, insatisfaits de l'offre politique qui leur est faite. Ils devront, d'ici le 4 septembre, choisir entre trois chefs et trois partis qui ne comblent pas leurs attentes. En fin de compte, à défaut de voter avec passion ou conviction, un grand nombre d'entre eux devront plutôt se demander lequel sera le moins pire des trois.

Bien sûr, la campagne électorale qui s'amorce portera aussi sur des grands enjeux, que ce soit le conflit étudiant, l'État-providence ou les ressources naturelles. Mais fondamentalement, dans notre système politique, les élections ne sont pas des référendums, mais plutôt un processus pour choisir le prochain gouvernement et le prochain premier ministre. Pour bien des gens, ce choix ne sera pas facile.

Jean Charest? Le gouvernement libéral souffre de façon persistante d'un niveau d'impopularité record. Malgré un bilan fort honorable dans plusieurs dossiers, ce gouvernement, usé par neuf ans d'exercice du pouvoir, hanté par les questions éthiques, a perdu sa légitimité et sa capacité de rassembler. On voit mal comment les troupes de Jean Charest pourraient se renouveler et se refaire une virginité en 35 jours de campagne électorale, ou encore augmenter leurs appuis faméliques. En toute logique, cette usure du pouvoir et le désir de changement des électeurs devraient mener à une défaite des libéraux. Mais Jean Charest dispose d'un atout, qui pourra peut-être lui permettre de conserver son poste, et c'est la faiblesse de ses adversaires.

Pauline Marois? Dans un contexte normal, c'est elle qui devrait remplacer Jean Charest, ne serait-ce qu'au nom du principe de l'alternance. Mais la mécanique traditionnelle ne joue pas pleinement, comme on le voit avec les appuis anormalement faibles dont jouit le PQ malgré l'impopularité du gouvernement libéral. Pourquoi? Son option est un boulet, car un grand nombre de Québécois ne veulent pas entendre parler de souveraineté. Mais il y a plus. Mme Marois a été une excellente ministre. Elle a manifesté une grande force de caractère dans les turbulences qui ont ébranlé son parti. Mais à cause de sa hargne comme chef de l'opposition, du glissement à gauche de son parti, de ses erreurs de jugement, elle n'a toujours pas réussi à s'imposer comme futur premier ministre.

François Legault? Modérément à droite, soucieux de s'extraire du débat constitutionnel, le chef de la CAQ est exactement là où sont les Québécois, comme le montrait l'engouement initial qu'il a suscité. Mais François Legault a déçu, par sa difficulté à bien expliquer ce qu'est son parti, par son absence d'instinct politique. Il a encore beaucoup de travail à faire pour développer son programme, bâtir une équipe et pour structurer un parti encore dans l'adolescence. Bref, on peut se demander s'il est prêt. Par contre, ce parti pourrait devenir le «joker» de la campagne électorale, parce qu'il peut constituer un second choix acceptable, tant pour des électeurs libéraux qui trouvent que Jean Charest a fait son temps, que pour des électeurs péquistes inconfortables avec Mme Marois.

Qu'est-ce ça va donner? On sait que les Québécois peuvent être imprévisibles, comme on l'a vu aux dernières élections fédérales. On sait aussi qu'une campagne où les électeurs cherchent à choisir la moins pire des options, un processus d'élimination par définition négatif, peut nous réserver des surprises. Bref, le 4 septembre, tout sera possible.