Jusqu'où faut-il aller pour prouver son homosexualité?

Le colocataire de Francis Ojo Ogunrinde, un Nigérian réfugié à Toronto, dit qu'il «savait qu'il était homosexuel». Un deuxième homme affirme aussi l'avoir vu agir avec un autre homme «comme s'il s'agissait de sa petite amie». Un troisième homme dit avoir été «en relation» avec M. Ogunrinde pendant un an. Un groupe d'entraide gai de Toronto confirme la participation active de M. Ogunrinde à ses rencontres. Et deux Nigérians rapportent que M. Ogunrinde est recherché par la police nationale pour activités homosexuelles, un acte passible de mort dans plusieurs régions du pays.

Mais l'agente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada chargée d'étudier la demande avait jugé que les preuves présentées «n'étaient pas convaincantes». Les photos, notamment, «manquaient d'authenticité» et les affirmations des témoins ne contenaient pas suffisamment de «détails».

On se demande quels genres de détails auraient satisfait l'agente. Des descriptions précises de relations sexuelles homosexuelles de M. Ogunrinde? Avec des images en pleine action, un coup parti?

La Cour fédérale, elle, a conclu la semaine dernière que l'agente en demandait trop. La demande de M. Ogunrinde devra être réexaminée, a décidé le juge James Russell.

Une demande de statut de réfugié liée à l'orientation sexuelle n'est pas un passe-partout exploité allégrement pour augmenter ses chances de rester au pays. Selon l'étude publiée par l'Université Laval en 2011, en 18 mois, entre 2009 et 2010, seulement 231 demandes ont été déposées à la CISR. Une partie d'entre elles ont été acceptées (l'étude ne précise pas la proportion). En comparaison, pour l'année 2009, 6642 demandes de statut de réfugié ont été accordées, toutes catégories confondues.

Jusqu'où faut-il aller pour prouver son orientation sexuelle? Le juge Russell a noté que l'agente «semblait avoir en tête une série d'actions ou de comportements qui l'auraient convaincu que le demandeur était homosexuel». Il s'agit là de «stéréotypes», rappelle-t-il avec raison. Et si les agents canadiens ont des doutes sur la sincérité de l'orientation sexuelle de Francis Ojo Ogunrinde, rappelle le juge, les autorités nigérianes, elles, en sont convaincues et sont à sa recherche.

Une vérification rigoureuse d'une telle demande de statut de réfugié est incontournable, mais elle doit se faire dans le respect des individus. On ne parle pas ici d'une brèche par laquelle s'engouffrent des hordes de demandeurs malhonnêtes. Pour des raisons évidentes, on préférera encore donner le bénéfice du doute à un «faux» gai et lui permettre de rester au pays, plutôt que de renvoyer un «vrai» gai se faire tabasser à mort dans son pays d'origine.