Qui aurait pu prévoir un tel revirement? Il y a 18 mois, le principal opérateur boursier du pays, le groupe TMX, et la Bourse de Londres annonçaient leurs fiançailles. À l'époque, cette transaction amicale de 3 milliards de dollars était apparue comme une fatalité dans une industrie qui vivait une consolidation rapide avec d'ambitieux projets de fusions internationales.

Or, non seulement le Canada inc. a-t-il rejeté ce «mariage entre égaux» qu'il assimilait à une mainmise étrangère, mais il est à deux doigts de mettre la main sur les principales bourses et chambres de compensation du pays. Le groupe boursier ainsi créé constituera un monopole sans précédent dans l'histoire du pays.

Le consortium Maple, formé de 12 institutions financières, dont la Banque Nationale, le Mouvement Desjardins et la Caisse de dépôt et placement du Québec, a dû plaider sa cause lors d'audiences réglementaires tenues d'un bout à l'autre du pays. Il a dû bonifier et prolonger son offre d'achat à huit reprises. Un vrai marathon, quoi.

Cette transaction de près de 3,8 milliards se conclura dans deux semaines. Mais déjà, Tom Kloet, le grand patron du groupe TMX qui sera reconduit dans ses fonctions de chef de la direction, négocie une acquisition stratégique. TMX convoite Direct Edge, quatrième opérateur boursier des États-Unis après NYSE Euronext, NASDAQ OMX et BATS, a révélé mercredi le Wall Street Journal.

De cible à prédateur, qui aurait pu prévoir?

______________________________

Le sujet n'a pas intéressé les Québécois. Même si les gouvernements du Québec, toutes couleurs confondues, ont toujours considéré comme crucial le maintien de l'expertise montréalaise dans les produits dérivés, la spécialité du Québec depuis que les places boursières du pays ont départagé les compétences en 1999.

Les audiences de l'Autorité des marchés financiers au Palais des congrès se sont déroulées en novembre dernier dans l'indifférence générale, malgré une sortie remarquée de l'ancien premier ministre Jacques Parizeau.

À l'évidence, monsieur et madame Tout le Monde se soucient peu à qui appartiennent les plateformes de négociation et la tuyauterie derrière les transactions, qui est assurée par les chambres de compensation. Tant que les transactions s'exécutent sur ordre de leur courtier ou sur confirmation de leur commande dans leur compte de courtage autogéré, tout baigne.

Mais dans les milieux financiers, cette transaction a suscité des hauts cris, notamment chez les courtiers indépendants absents du consortium Maple. Avec l'acquisition subséquente de la plateforme de négociation Alpha par Maple, le premier concurrent de la Bourse de Toronto, TMX va accaparer plus de 80% du volume de négociation des actions du pays. D'où viendra la concurrence qui abaissera les frais de transaction et rendra les marchés canadiens plus performants?

La propriété du groupe TMX sous Maple a aussi fait sourciller. Les 12 membres de ce consortium profiteront-ils d'avantages qui ne seront pas consentis aux autres participants du marché?

C'est le Bureau de la concurrence qui a exprimé le plus de réserves envers cette transaction de toutes les autorités qui ont eu un droit de regard sur l'acquisition du groupe TMX par Maple, puis sur la mainmise subséquente sur Alpha et la chambre de compensation CDS.

Reconnue pour sa combativité, la commissaire à la concurrence, Melanie Aitken, a exprimé à l'automne des «réserves sérieuses» envers cette transaction, notamment pour la fusion de la Bourse de Toronto et de son concurrent Alpha. Mais quelques jours après que la commissaire eut annoncé, à la fin de juin, sa démission deux ans avant la fin de son mandat, le Bureau de la concurrence a donné le feu vert au groupe Maple. Sans plus d'explications, il s'est satisfait des exigences et des conditions imposées par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario.

Rien ne permet d'établir un lien entre la démission de Melanie Aitken et l'approbation du Bureau de la concurrence à l'acquisition du TMX par Maple. Mais cette approbation sans histoire d'un Bureau qui était jusqu'à tout récemment si combatif n'en est pas moins surprenante.

Avec l'aval des autorités des valeurs mobilières de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, mercredi, les derniers morceaux du puzzle se sont mis en place.

Ainsi, le Canada a créé de toutes pièces un quasi-monopole de la Bourse et de la compensation qui sera réglementé par les autorités boursières pour prévenir les abus et les profits excessifs. Monopole où les banques toutes puissantes sont fortement représentées, avec les exceptions notables de la Banque Royale et de la Banque de Montréal. Ces institutions qui militaient en faveur d'une fusion des bourses de Toronto et de Londres sont hors jeu pour l'instant.

Il semble que ce soit le prix à payer pour l'établissement de ce «champion canadien» de la Bourse. Champion qui est maintenant à la recherche d'acquisitions, comme Tom Kloet l'affirmait en entrevue à l'agence Reuters il y a un mois. Des acquisitions à la hauteur des moyens du TMX qui ont le double avantage d'être plus susceptibles d'être approuvées par les autorités réglementaires.

Trois transactions d'envergure ont été bloquées au cours de la dernière année, soit la fusion de Deutsche Börse et de la Bourse de New York (NYSE), l'acquisition du NYSE par le duo NASDAQ et IntercontinentalExchange, de même que l'achat de la bourse australienne ASX par la Bourse de Singapour.

Lancé en 2005 et propriété d'un consortium d'investisseurs privés, Direct Edge est un petit opérateur en comparaison. Sa valeur s'établissait à 390 millions de dollars en 2008, au moment où International Securities Exchange est entré à son capital. Mais ce spécialiste de la négociation à haute fréquence fait miroiter un tout nouveau marché pour le TMX, qui est uniquement présent aux États-Unis par l'entremise de la bourse des dérivés BOX.

Comme quoi les petits pas peuvent mener plus loin que les grands.