Plus d'un million. C'est le nombre de requêtes policières auxquelles ont accepté de répondre l'an dernier les entreprises de téléphonie américaines.

Cette quantité astronomique a même surpris le représentant au Congrès Edward J. Markey, qui s'intéresse de près à la protection des renseignements confidentiels aux États-Unis. « Je ne me serais jamais attendu à ce que ce soit aussi gros », a confié M. Markey au New York Times dimanche.

Qu'ont obtenu les policiers ? Beaucoup d'informations de géolocalisation - obtenues grâce aux antennes auxquelles se connectent les abonnés, ou avec le système GPS de l'appareil -, des listes des appels reçus et numéros composés, et le contenu des messages textes échangés entre utilisateurs. Toutes des informations stockées dans les serveurs des entreprises pendant au moins plusieurs semaines après leur production.

Le nombre d'abonnés concernés par ces demandes pourrait être de « plusieurs millions », selon le New York Times, puisque chaque requête peut impliquer l'échange d'informations entre plusieurs abonnés... qui ne sont pas tous l'objet d'une enquête policière.

Et au Canada ? Rien ne permet de croire que la collecte de renseignements de téléphonie cellulaire par les forces policières soit moins populaire chez nous.

La technologie a évolué beaucoup plus vite que les lois encadrant la protection des renseignements personnels, observe Teresa Scassa, de la Chaire de recherche du Canada en droit de l'information à l'Université d'Ottawa. Chaque fois que nous utilisons ces merveilleux bidules pour naviguer, texter, microbloguer, photographier, partager, commenter et (accessoirement) téléphoner, nous laissons toutes sortes de traces numériques entre les mains d'entreprises privées.

Lesquelles, rappelle Mme Scassa, peuvent partager sur demande ces renseignements avec les forces policières, à l'insu de la personne concernée.

Et les conditions du partage de ces renseignements ne sont pas toujours bien établies. Dans la plupart des cas, un mandat doit être obtenu auprès d'un juge ou un juge de paix. Mais la justification que doivent présenter les policiers n'a pas à être aussi détaillée qu'à l'époque de l'écoute du bon vieux téléphone avec fil.

L'écoute téléphonique, justement, est permise à la condition que sa nécessité ait été prouvée devant un juge selon des critères précis et une jurisprudence éprouvée. Une démarche beaucoup plus complexe que la simple copie de données stockées dans les serveurs informatiques. Résultat : le nombre de mandats délivrés aux États-Unis l'an dernier pour l'écoute téléphonique était en baisse de 14 % - soit seulement 2732 mandats !

Deux constats doivent être tirés de cet état de fait.

D'abord, qu'il est important d'épousseter la loi qui encadre la divulgation de ce genre de renseignements personnels, pour éviter que ceux de millions de Canadiens se retrouvent entre les mains de la police alors qu'ils n'ont absolument rien à se reprocher. La Cour suprême entendra d'ailleurs cet automne une cause opposant Telus au gouvernement ontarien concernant le type de mandat que doit obtenir la police pour mettre la main sur des messages textes conservés dans ses serveurs. C'est à suivre.

Mais en attendant que la loi s'adapte, les adeptes de la vie numérique doivent se méfier des informations personnelles qu'ils dispersent eux-mêmes volontairement et naïvement. En nous exhibant virtuellement, nous livrons parfois beaucoup trop d'informations susceptibles d'être collectées, de façon tout à fait légale, par des individus beaucoup moins bien intentionnés que la plupart des policiers...