Parce que Mohamed Merah a été le premier djihadiste de nationalité française à avoir sévi chez lui et parce que ce dossier est toujours chargé d'émotion, l'affaire ne cesse de rebondir. Il s'agit de cet homme qui, en mars, a assassiné dans la région de Toulouse trois enfants et un enseignant juifs. Auparavant, il avait tué trois militaires.

Merah a finalement été abattu par les policiers après en avoir blessé une demi-douzaine.

En France, la diffusion d'enregistrements des négociations du forcené avec la police vient de causer un tumulte. L'homme y parle notamment de sa détermination à tuer encore pour sa cause s'il l'avait pu. Chez nous, on a surtout retenu que les «frères» de Merah (des cadres d'Al-Qaïda) lui auraient suggéré de perpétrer des attentats au Canada.

Cependant, ce qui se dégage à la longue de toute l'affaire, c'est la profondeur d'une culture de conspirationnisme antisémite que le quotidien Le Monde a qualifiée de «version 2.0 des Protocoles des sages de Sion».

Cette culture est largement véhiculée par le web. Et elle fleurit depuis le 11 septembre 2001, qui avait donné lieu à la mère de toutes les conspirations antisémites contemporaines: celle des 4000 juifs absents des tours jumelles ce jour-là. En France, le ministre socialiste de l'Intérieur, Manuel Valls, admet aujourd'hui qu'«il y a un antisémitisme qui est né dans nos quartiers, dans nos banlieues [...] chez des esprits faibles et qui revendiquent cette haine».

Valls évoque un «effet Merah».

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En mars, quelques heures à peine après la tuerie de l'école juive, le candidat du Nouveau Parti anticapitaliste à la présidence de la République évoque «un calcul politique derrière pour faire diversion à la crise»... C'est parti. Il ne faudra que quelques heures encore pour qu'Israël soit soupçonné d'avoir tué des enfants juifs!

On se demande toujours en pareil cas s'il faut dénoncer ou laisser braire. Le Monde choisit de dénoncer.

Il démonte point par point la mécanique du «complot Merah», analysant la façon dont des imprécisions mineures - il y en a toujours - deviennent des preuves de l'implication de forces occultes, Merah n'étant plus alors qu'un pion innocent. Dans toute conspiration, cette mécanique est la même.

Le fond de sauce idéologique aussi.

Dans Les nouveaux imposteurs, Antoine Vitkine le décrit assez bien: «Le monde est un théâtre d'ombres soumis aux intérêts pervers des tireurs de ficelles, les maîtres du monde, les bushistes, sharoniens, sionistes...» Bénin? Que non. Vitkine remarque que, si les choses sont vraiment ainsi, «la démocratie est une fiction inutile, qu'il convient de boycotter ou de renverser». De fait, c'est un discours qu'on entend de plus en plus autour de nous. Un discours forgé par, entre autres, l'océan de fabulation démente dans laquelle nous baignons.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne s'agit pas d'un progrès.