La France n'en revient pas de notre contestation étudiante devenue crise sociale et, pourquoi pas, révolution. Pas une seule publication française n'a raté le coche du «printemps érable», une expression qui, avec son parfum du terroir, fait fureur. Un modeste quotidien régional a même pris la peine de retracer une jeune femme originaire de... Lys (ça ne s'invente pas) venue ici entendre les concerts de casseroles!

Bref, on a écrit tout et plus sur notre psychodrame national tout neuf.

Cependant, la véritable consécration du caractère iconique de cette crise est venue au cours des derniers jours avec, un, l'audience accordée aux leaders étudiants par Bertrand Delanoë, maire de Paris: cela a un sens, en effet, dans l'univers diplomatique. Et, deux, avec la publication dans le prestigieux Courrier international d'un dossier à volets qui fait la «une» et s'étale sur sept pages.

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Passons rapidement sur le tic inguérissable de la presse française, celui de la cabane au Canada.

La page frontispice du Courrier donne à voir une manifestante dont le maquillage évoque celui des guerriers mohawks de notre folklore. Et on rencontre, place Émilie-Gamelin, «un Amérindien métis dont la blonde comparse distribue un tabac de l'amitié et de la paix» (Le Monde). Il faut lire aussi cette narration du Monde diplomatique où l'on retrouve un homme qui «fredonne en marchant L'Alouette en colère de Félix Leclerc» ainsi qu'une femme «avec une casserole, une spatule et une cuillère dans une main, un bambin dans l'autre». Un mélange de réalisme socialiste soviétique et de... jonglerie du Cirque du Soleil!

Mais là n'est pas l'essentiel.

Le plus remarquable, en effet, est que la presse française, qui n'a oublié ni 1789 ni 1968, est tombée en amour avec notre «rue».

Celle-ci «semble construire à petits pas un modèle de révolte cool et connecté, idéal pour des sociétés occidentales au bord de la crise de nerfs» (Les Inrockuptibles). On a même trouvé une sorte de Che en la personne de «l'ange Gabriel» dont les ailes ne cachent pas le troublant sex-appeal: mon rêve, dit une manifestante, «ce serait Gabriel Nadeau-Dubois qui me kidnappe sur un cheval du SPVM volé» !

Mais comment reprocher aux Français leur nostalgie des barricades alors qu'ici même, le syndrome a sévi dans bien des milieux, dont celui des médias? Ce sont des plumes québécoises qui ont fourni les pages les plus... disons... romantiques du dossier assemblé par le Courrier international, y compris celle sur GND et sa monture volée! Pour obtenir un autre son de cloche, un souci qui l'honore, le magazine a cru devoir recourir au très torontois MacLean's...

Tout cela a-t-il vraiment de l'importance?

Modérément. Ce n'est ni la presse française ni le maire de Paris qui, dans quelques semaines, nous dégagerons - ou pas - de l'ornière dans laquelle nous nous enfoncerons à nouveau.