Dans les circonstances, ce message d'accueil sur le site officiel de Bev Oda est presque risible, mais c'est bien ce qu'on pouvait y lire hier encore, après l'annonce de sa démission: «Comme membre du gouvernement du Canada, je continuerai de travailler pour vous à Ottawa afin de restaurer la responsabilité financière du gouvernement fédéral, pour donner aux familles des baisses d'impôt bien méritées, pour améliorer la qualité de vie des Canadiens et pour rehausser l'image du Canada à l'étranger.»

Pas de doute, le gouvernement conservateur duquel fait partie Mme Oda a bel et bien baissé les impôts des Canadiens, mais on ne peut vraiment pas dire que l'ex-ministre de la Coopération internationale aura beaucoup contribué à mettre fin au gaspillage éhonté des fonds publics ni qu'elle aura réussi à redorer le blason du pays dans le monde.

Déjà ciblée par les partis de l'opposition pour être intervenue directement pour bloquer une subvention à une ONG défendant un point de vue différent de celui du gouvernement, Bev Oda a poussé un peu trop la note (au propre comme au figuré) en menant grand train aux frais de ses concitoyens lors d'un séjour à Londres, il y a un an.

Hôtel luxueux à 665$ la nuit, limousine à 1000$ par jour, verre de jus d'orange à 16$, il n'y avait rien de trop beau pour cette ministre chargée de diriger les programmes d'aide destinés aux plus pauvres de la planète.

Coincée, elle a dû s'excuser aux Communes en avril dernier et rembourser 3000$ de frais excessifs.

La question n'est pas tant de savoir pourquoi Mme Oda a finalement fait le geste honorable de démissionner, mais plutôt de savoir pourquoi le premier ministre Stephen Harper ne l'a pas mise à la porte plus tôt, lui qui a fait de la lutte contre le gaspillage son fonds de commerce politique.

D'autant plus que ce n'était pas la première extravagance de Mme Oda. En 2006, elle avait aussi dû rembourser 2200$ au Trésor public après s'être payé une limousine à 5475$ pour aller à la cérémonie des Juno à Halifax.

Dans le réseau canadien de la coopération internationale, aussi bien chez les fonctionnaires que chez les coopérants, il ne se trouvera pas grand monde pour pleurer le départ de celle qui dirige l'Agence canadienne de développement international (ACDI) depuis 2007, un record de longévité à ce poste. Sur le terrain, en Haïti notamment, on se plaint des interventions politiques et de la microgestion de Mme Oda et du gouvernement en général.

Cela ne risque pas vraiment de changer, toutefois, même avec le départ de Bev Oda, qui ne faisait, en fait, que suivre les directives et les orientations décidées par le premier ministre. À Ottawa, le nom de Chris Alexander, ancien ambassadeur du Canada en Afghanistan et lui aussi député ontarien, circule depuis quelques semaines comme successeur potentiel à Bev Oda. Ce choix permettrait à Stephen Harper de rajeunir le visage de l'ACDI et, surtout, d'y nommer quelqu'un qui connaît les dossiers internationaux.

Les électeurs de Durham ont élu Bev Oda quatre fois, en lui accordant une majorité de 20 000 voix en mai 2011. Une élection partielle dans cette circonscription ne sera donc pas trop périlleuse pour les conservateurs. Le départ de Mme Oda évitera à Stephen Harper de devoir la renvoyer sur les banquettes arrière dans le cadre d'un remaniement attendu dans les prochains jours.

Cela ne règle pas les autres cas problèmes au sein de son cabinet: Christian Paradis, qui s'est retrouvé trois fois sous la loupe de la commissaire à l'éthique et aux conflits d'intérêts, notamment à cause d'un voyage de pêche avec Marcel Aubut; Peter MacKay, embourbé dans le dossier des F-35 et qui a utilisé un hélicoptère des forces armées à des fins personnelles.

M. Harper, c'est bien connu, maintient dans son cabinet et son caucus une main de fer et il n'aime pas beaucoup les perturbations. Il a protégé certains de ses ministres dans le pétrin, comme Lisa Raitt, et rares sont les démissions dans son gouvernement.

Le premier ministre devrait néanmoins se méfier d'un certain sentiment d'impunité et de l'arrogance qui commencent à s'installer dans ses troupes, phénomène classique après quelques années au pouvoir.

Outre les écarts des Bev Oda, Christian Paradis, Peter MacKay, il y a aussi eu, récemment, les commentaires injurieux de Jason Kenney à l'endroit du vice-premier ministre albertain et une grossièreté du sénateur Patrick Brazeau contre une journaliste de la colline parlementaire.

M. Harper vient de rétablir le contact avec Brian Mulroney. Celui-ci pourrait l'instruire sur les risques de glissades sur la pente savonneuse de l'éthique au sein d'un gouvernement trop confiant.