Le maire de Montréal a un sens inné du timing.

Au moment où les ingénieurs et les cols bleus de la Ville prenaient la pleine mesure du trou dangereux qui s'est creusé sous la chaussée à l'angle de l'avenue McGill College et de la rue Sainte-Catherine, Gérald Tremblay a lancé hier une nouvelle campagne de séduction pour faire revenir les banlieusards au centre-ville.

«Montréal est toujours accueillant, festif, énergique et surtout unique», a clamé Gérald Tremblay avec son enthousiasme habituel.

Début juillet, la Ville lancera une nouvelle campagne publicitaire. Cette campagne est assortie de promotions de la Société de transport de Montréal pour rendre l'île plus accessible.

Cette initiative s'est faite à la demande des 3000 commerçants et des 1500 propriétaires de restos du centre-ville. Ceux-ci s'inquiètent des répercussions des manifestations étudiantes sur leurs affaires. Surtout que ces manifs ont parfois débordé en raison des casseurs qui se sont infiltrés parmi les étudiants.

«On ne peut pas empêcher les manifestations pacifiques, mais on peut aider les commerçants», a dit Gérald Tremblay.

Louable intention. Mais le problème du centre-ville de Montréal va bien au-delà du conflit étudiant qui, pour interminable qu'il paraisse, finira bien par se régler. Ce problème tient aux infrastructures de la métropole, qui sont en ruines.

Qu'aucune voiture ou qu'aucun piéton ne soit tombé dans le trou en pleine rue Sainte-Catherine, grâce aux vieux rails de tramways qui soutenaient par miracle la dalle de béton, est d'une ironie grinçante.

Montréal est peut-être «toujours aussi jazzée», comme le veut son nouveau slogan. Mais elle est toujours aussi mal en point. Et toujours aussi congestionnée.

Samedi dernier, je me suis retrouvée coincée dans les petites rues qui mènent au pont Jacques-Cartier, la quasi-fermeture du point Champlain ayant paralysé toutes les autres traversées.

«Maman, il reste combien de temps?» Cette question intemporelle se fait habituellement entendre à Bromont, voire à Granby. Pas avant le pont. Cela a pris une heure juste pour sortir de Montréal. Même scénario au retour dimanche soir, malgré un départ très tardif. N'eût été une fête à laquelle je devais assister, j'aurais rebroussé chemin.

Une anecdote, me direz-vous. Mais les fermetures de toutes sortes ne sont plus exceptionnelles. Elles composent l'ordinaire des Montréalais. Au point où ils hésitent à sortir de leur île.

À l'inverse, les banlieusards y pensent à deux fois avant de s'aventurer en ville. Tous n'habitent pas à proximité de transports collectifs qui relient le centre-ville dans un délai raisonnable.

Il n'y a pas que le centre-ville qui souffre. Plusieurs grandes artères commerciales s'étiolent. Après le boulevard Saint-Laurent, dont les longs travaux de réfection ont forcé des commerçants à jeter l'éponge, c'est au tour de l'avenue du Parc de dépérir.

Montréal paie le prix pour toutes ces années où les gouvernements rognaient sur leurs dépenses en évitant d'examiner ce qui passait sous les ponts, les viaducs et les rues. Mais avec le rattrapage qui se fait pour les travaux les plus urgents, Montréal n'a jamais été aussi insulaire.

Plusieurs promoteurs et commerçants l'ont compris. Les artistes se produisent en banlieue, dans de nouvelles salles de spectacles. Même certaines des épiceries ethniques qui donnaient une saveur distinctive à Montréal ont pris le large; on peut faire son Adonis à Brossard.

Évidemment, il n'y a pas cette ambiance incomparable que ma collègue Nathalie Petrowski évoquait hier. Mais cette ambiance est plus facilement accessible à un touriste torontois qui séjourne dans un hôtel du centre-ville qu'à bien des Longueuillois.

«Le centre-ville de Montréal, c'est le coeur économique du Québec», a martelé Gérald Tremblay, reprenant une vieille image. Mais si Montréal en est encore le coeur, il ne bat pas très vite.

Le taux de chômage dans l'île de Montréal, de 10,6%, est significativement plus élevé que celui de l'ensemble du Québec, de 7,8%. Ce rapport entre une métropole et les régions qui l'entourent est hautement inhabituel, notait le consultant Marcel Côté dans un article de mon collègue André Dubuc.

Sur 25 ans, soit de 1987 à 2011, la croissance annuelle moyenne dans la région métropolitaine de recensement de Montréal est aussi inférieure à celle des grandes agglomérations canadiennes. Elle s'est établie à 1,8% comparativement à 2,4% pour l'économie canadienne dans son ensemble, notait le Conference Board dans une étude récente.

Devant ce constat, la chambre de commerce du Montréal métropolitain souhaite que Montréal reprenne enfin la place qui lui revienne. S'appuyant sur un sondage d'une centaine de dirigeants d'entreprises ou de filiales établies à Montréal, la Chambre insiste sur l'importance de débloquer des travaux routiers qui se sont enlisés. Son président et chef de la direction, Michel Leblanc, cite le lien rapide entre l'aéroport et le centre-ville ou encore la réfection du boulevard Notre-Dame.

D'autres cônes orange, soupirez-vous. Au moment où les rues et boulevards urbains en sont saturés!

Mais, autant ces travaux sont urgents pour faire revenir les investissements et les banlieusards à Montréal, autant il ne faudrait pas les réaliser dans la précipitation.

Il s'est dit toutes sortes de choses durant les audiences publiques de la commission Charbonneau qui enquête sur l'octroi de contrats de travaux publics, du plus banal au plus retentissant. Mais un constat semble faire l'unanimité: la perte d'expertise chez les donneurs d'ouvrage du public, qui ont perdu leurs ingénieurs au profit de firmes privées.

Quand la Ville de Montréal et le ministère des Transports du Québec auront retrouvé la capacité de déterminer par eux-mêmes les spécifications et la planification des travaux, il sera temps de bouger. On n'en est plus à un mois de retard près.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca