On sait depuis un bon moment déjà que le régime syrien tue, torture et emprisonne des enfants, y compris des petits de moins de 10 ans. Voici qu'une nouvelle exaction vient s'ajouter à cette trop longue liste: les forces de Bachar al-Assad se servent aussi d'enfants comme boucliers humains.

L'exemple qui suit est tiré d'un rapport de l'ONU, rendu public hier. Un scénario à faire frémir, qui s'est déroulé en mars dernier, à Ayn l'Arouz, village du nord de la Syrie.

L'armée syrienne, aidée par les effroyables milices pro-Assad, surnommées «shabihas», a encerclé, puis attaqué ce village, qu'elle soupçonnait d'abriter des déserteurs. L'offensive a duré quatre jours, et au moins 11 civils, dont quelques mineurs, figurent parmi les victimes. Une trentaine de personnes ont été arrêtées et interrogées. Parmi elles, trois enfants, dont une fillette de 8 ans.

Jusque-là, rien de nouveau. Qu'un autre chapitre d'une crise qui s'enlise depuis maintenant 16 mois. Sauf qu'ici, à Ayn l'Arouz, les soldats du régime avaient commencé par kidnapper quelques dizaines d'enfants du village. Des jeunes, âgés de 8 à 13 ans. Selon des témoignages recueillis par les enquêteurs de l'ONU, ces gamins ont ensuite été placés dans les autobus qui ont conduit les soldats du régime à l'intérieur du village. Pour plus de protection, ils ont été installés juste devant les fenêtres des véhicules. S'ils avaient attaqué ces autobus, les rebelles auraient massacré leurs propres enfants...

En lisant l'énième rapport sur la Syrie, j'ai repensé à Hothaïfa, ado de 13 ans rencontré en février dernier à Wadi Khaled, village libanais à la frontière de la Syrie. Hothaïfa venait de Tal Kalakh, village situé tout juste de l'autre côté de la frontière. Son arrestation et les tortures subies dans une prison syrienne avaient convaincu ses parents de fuir au Liban.

Hothaïfa m'a raconté comment il avait été battu et électrocuté. Il m'a montré son gros orteil, dont l'ongle avait été arraché à l'aide d'un marteau et d'un tournevis. Hothaïfa avait déjà fait ce même récit à des enquêteurs d'organisations internationales. C'était un garçon calme, timide, avec un regard intelligent. «Plus tard, je veux travailler pour Human Rights Watch», avait-il confié gravement.

Le récit de Hothaïfa était crédible, et son gros orteil tout écrasé parlait pour lui. Pourtant, son histoire était tellement énorme qu'au fond de moi, j'avais gardé un petit doute. Peut-être en avait-il ajouté un peu?

Ce même jour, dans le même village, j'avais rencontré d'autres jeunes syriens réfugiés au Liban. Eux aussi avaient quitté leur pays avec des valises pleines de cauchemars. Je n'ai pas tout raconté dans le reportage que j'ai écrit sur ces enfants de la guerre. Leurs récits étaient impossibles à vérifier. Et certaines de leurs histoires me paraissaient trop terribles pour être vraies. Traumatisés par la guerre, ces ados restaient des ados - et il m'avait semblé que, parfois, ils en mettaient un peu trop...

Maintenant, j'ai en tête ces autobus bardés d'enfants-boucliers. Et je me dis que rien, dans les récits recueillis en février, à Wadi Khaled, n'était invraisemblable.

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Pardon, Hothaïfa, pardon, Bethul, et ce petit frère dont j'ai oublié le nom, et qui m'avait parlé d'un ami dont le corps charcuté avait été retourné à ses parents. Pardon d'avoir douté... De toute évidence, l'horreur de la guerre civile qui est en train de vous voler votre enfance n'a pas de limites.

La guerre en Syrie change de forme. Les bombardements par hélicoptères remplacent de plus en plus les tirs d'artillerie lourde. Peut-être parce que l'armée syrienne a perdu beaucoup de tanks.

Or, selon la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton, certains de ces hélicoptères viennent directement de Moscou. Tout comme certaines armes utilisées par le régime de Bachar al-Assad pour mater ses opposants.

Washington a demandé aux Russes de cesser leurs envois d'armes à la Syrie. Ce à quoi Moscou a rétorqué que ces armes n'ont rien, mais alors là rien à voir avec la situation intérieure syrienne... Mme Clinton pense que les Russes disent n'importe quoi. Et on la comprend.

Une raison de plus de penser qu'une partie de la solution à ce conflit se trouve à Moscou.