Il fut un temps pas si lointain où les discours de Michael Sabia se reconnaissaient à leur intensité, à leur urgence d'agir. Nommé dans la controverse, le président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec voulait faire oublier au plus vite une année 2008 catastrophique.

Le contraste lundi, lors du dîner organisé par le Cercle finance et placement du Québec, ne pouvait être plus saisissant. Le grand patron de la Caisse a eu du mal à réprimer son fou rire à la suite de l'intervention maladroite d'un cameraman de Radio-Canada qui lui a fait perdre le fil de ses idées en plein discours. Fou rire qui le secouait encore en point de presse.

Voilà deux ans que la Caisse réussit à tirer son épingle du jeu dans un environnement hautement incertain, avec un rendement global qui situe cette institution parmi les premiers de classe. Après quatre années pour ainsi dire perdues, la Caisse a retrouvé son actif net de 2007 - il se situait à 159 milliards de dollars au 31 décembre.

Mais l'apparente désinvolture avec laquelle Michael Sabia a livré son discours de lundi est trompeuse. Car la «phase deux des changements» à venir annonce une petite révolution à la Caisse.

Dorénavant, la Caisse privilégiera les placements privés et l'immobilier au détriment des actions qui se négocient en Bourse. Ainsi, le poids de ces actions, qui se situait à 36% de son portefeuille à la fin de 2011, est appelé à décroître au cours des prochaines années.

«Dans un monde excessivement volatil, les marchés privés vont nous donner une occasion de générer du rendement», affirme Michael Sabia. Cependant, ces occasions exigent une connaissance plus fine des industries, des entreprises et des marchés dans lesquels ces sociétés évoluent. Connaissances qui vont bien au-delà des fichiers Excel et des modèles mathématiques des tenants de l'approche quantitative, les «quants» dans le jargon.

D'où la décision de la Caisse d'aller chercher l'expertise de pointe qui lui manque. La Caisse recrutera des géologues, des ingénieurs miniers, des spécialistes en réseaux de télécommunications, entre autres experts, pour acquérir cette connaissance terrain. «Il faut comprendre les choses en profondeur, dit Michael Sabia. C'est la meilleure façon de gérer la volatilité.»

En parallèle, le Caisse cherche à avoir une meilleure appréciation des grands phénomènes macroéconomiques. L'institution vient par exemple de créer une équipe à l'interne qui se penche sur les changements démographiques, pour voir comment ces mutations créeront des occasions tout comme elles affecteront les placements de la Caisse.

Cet intérêt pour des sujets longtemps considérés comme périphériques ou soft représente une tendance lourde chez les investisseurs institutionnels et les agences de notation de crédit.

Difficile d'apprécier les mouvements boursiers en Europe sans saisir l'humeur des Européens qui, las des mesures d'austérité, ont montré la porte à plusieurs de leurs chefs d'État. Même le tintamarre des casseroles se répercute sur les coûts d'emprunt du Québec en raison de la plus forte probabilité d'élections hâtives.

Les mauvaises langues diront que la Caisse suit encore une fois la dernière mode. Que la Caisse se retire du marché boursier au pire moment. À la suite de la décennie perdue. Et au moment où la Bourse américaine vient d'effacer tous les gains enregistrés depuis le début de l'année. Les rapports cours/bénéfices des actions ont rarement été aussi raisonnables, affirment ceux qui flairent les aubaines...

Mais Michael Sabia reste imperturbable. «Nous cherchons davantage de stabilité, moins de volatilité», a-t-il martelé.

Ce message se veut réconfortant pour les Québécois qui comptent sur la Caisse pour assurer leurs vieux jours, comme c'est le cas pour les fonctionnaires du gouvernement. Mais à l'inverse, il est troublant pour les Québécois qui sont laissés à eux-mêmes pour se constituer une retraite confortable. Or, avec le désengagement des grandes entreprises des retraites de leurs employés, ceux-ci sont de plus en plus nombreux.

On leur a toujours dit qu'à long terme, les investissements à la Bourse étaient plus payants que les obligations. On leur a toujours conseillé de diversifier leur portefeuille. Et on leur a toujours suggéré d'acheter les indices boursiers, que peu de gestionnaires de portefeuille réussissent à battre à long terme, pour réduire leurs frais de gestion!

La Caisse va maintenant à l'encontre de ces idées reçues, à l'instar de plusieurs investisseurs sophistiqués. Elle privilégie le placement privé inaccessible au commun des mortels. Et elle délaisse les indices boursiers, trop diversifiés, pour quelques placements plus significatifs. C'est le cas de CGI, dont elle détiendra 22% du capital-actions à la suite de son investissement de 1 milliard de dollars qui permettra à cette société-conseil en informatique d'acquérir le groupe britannique Logica.

«Pour le petit investisseur, ce qui est plus important, c'est de comprendre en profondeur chacun de ses investissements et de mettre moins d'accent sur la diversification», suggère Michael Sabia.

Et comment le petit investisseur obtiendra-t-il cette connaissance en profondeur que la Caisse tente d'acquérir avec des embauches extrêmement ciblées? Le problème, il est là. L'histoire ne le dit pas.

sophie.cousineau@lapresse.ca