À force de mijoter dans la marmite (!) du conflit étudiant, de ses retombées et de ses excès, on en oublie presque qu'il existe une vie hors Québec. Notamment dans les régions du globe qui ont eu droit à ce fameux «printemps», le vrai, qui inspire tant les mémorialistes et adulateurs de notre psychodrame local.

Consacrer aujourd'hui quelques minutes à ce survol invite à relativiser les choses. À redonner un sens aux mots banalisés depuis trois mois par un emportement lyrique qui, dans trois mois encore, ne provoquera probablement plus que des sourires nostalgiques et attendris.

***

En Syrie, la brutalité n'est pas policière, mais militaire. Elle n'utilise ni le gaz irritant ni le cheval de parade, mais la mitrailleuse lourde et le char d'assaut.

Elle a fait 13 000 morts en moins de 15 mois.

Pendant cette période, la communauté internationale s'est montrée totalement impuissante à faire cesser ce bain de sang. Vendredi dernier, la détermination du régime de Bachar al-Assad à demeurer en place s'est affichée dans toute son abjection. Quelque 108 civils, dont une cinquantaine d'enfants, ont été massacrés dans la ville de Houla (centre), l'événement étant documenté à la télé et sur le web par des images sordides. Hier, le médiateur désigné, Kofi Annan, s'est dit «horrifié», mais n'avait évidemment pas de solution à offrir.

Le bourreau de Damas est soutenu à divers degrés par Moscou, Pékin et Téhéran.

En Égypte, quel type de droite faudra-t-il conspuer lorsqu'il s'agira de critiquer le pouvoir? Chose sûre, le premier tour de l'élection présidentielle a dégagé, en vue du second tour des 16 et 17 juin, deux candidats dont aucun ne véhicule l'image du progrès.

L'un, Ahmed Shafik, est un ancien militaire qui a brièvement été premier ministre sous Moubarak - un lourd héritage dont il ne parvient pas à se distancer. L'autre, Mohammed Mursi, est l'homme des Frères musulmans et affirme qu'il est temps de mettre en pratique le slogan de la fraternité voulant que «l'islam est la solution». Prudent, il présente cette sorte d'énigme à laquelle nous ont habitués certains leaders issus des autres «printemps arabes»: quel niveau de proximité entre l'islam et l'État prônera-t-il?

Certains indices ne permettent pas de débordements d'optimisme. Et les deux chambres du parlement égyptien sont déjà sous le contrôle des islamistes.

En Indonésie, limiter la liberté d'expression ne se fait pas par l'imposition de quelques règles aux manifestants, mais par la menace pure et simple.

Lady Gaga a dû renoncer à s'y produire comme prévu, dimanche prochain. Certes, on peut considérer la chanteuse comme la championne du «syndrome MTV», c'est-à-dire de la provocation, généralement à teneur sexuelle, comme outil de vente. Mais cela ne change rien à l'affaire. Devant le danger réel qui se profilait, le producteur de la tournée de Lady Gaga a dû céder aux menaces proférées par le Front des défenseurs de l'islam (7 millions de membres), en colère contre «le péché apporté par ce monstre destructeur de la morale».

Nul doute que les artistes, si chatouilleux en matière de liberté d'expression, protesteront (en portant un carré de... soie transparente?) contre cette censure directe. Brutale. Fasciste, comme on le dit depuis trois mois à propos de tout et n'importe quoi.