Alliance Films, ce distributeur dans lequel la société d'État a investi 115 millions de dollars, sera vendu d'un jour à l'autre. C'est Victor Loewy, l'homme d'affaires qui a construit Alliance, qui l'affirme.

En entrevue à ScreenDaily il y a 10 jours, Victor Loewy a révélé que trois entreprises sont en lice pour reprendre Alliance et son catalogue de près de 11 000 films. La Banque de Montréal soupèse ces soumissions. Le choix sera fixé d'ici deux à quatre semaines, disait alors le président du conseil et chef de la direction d'Alliance, soit d'ici la fin mai.

Contre toutes attentes, Investissement Québec pourrait peut-être récupérer sa mise avec un profit. Mais la société d'État n'aura pas gagné pour autant son pari de renforcer l'industrie cinématographique de Montréal.

Car le choix de cet acquéreur pourrait bien déterminer le sort de ce siège social montréalais que l'ancienne Société générale de Financement (SGF), s'enorgueillissait d'avoir fait déménagé de Toronto. La SGF et Investissement Québec, rappelons-le, ont fusionné il y a un an.

Il faut savoir qu'en vertu de la loi qui limite la propriété étrangère dans la distribution d'oeuvres filmées, Alliance Films doit être contrôlée par des intérêts canadiens. Une loi que la société d'État et son partenaire américain Goldman Sachs Capital Partners ont habillement contournée en 2008. Investissement Québec contrôle 38,5% du capital, mais 51% des droits de vote d'Alliance. Le reste se trouve aux mains de Goldman Sachs.

L'une des entreprises intéressées à acquérir Alliance Films serait Entertainment One, une entreprise de Toronto dont le titre se négocie à la Bourse de Londres. Entertainment One a fait volte-face en février dernier. Après avoir songé à se mettre en vente, cette société est plutôt repartie à la chasse aux acquisitions.

L'entreprise qui a distribué les films à succès «Twilight» connaît Alliance de façon intime. Son administrateur Robert Lantos a cofondé Alliance avec Victor Loewy du temps que les deux hommes se côtoyaient à McGill. Sa division cinéma est présidée par Patrice Théroux, l'ancien président de la division distribution d'Alliance. Comme quoi le monde de la distribution au Canada est très petit!

Or, Entertainment One n'a aucune raison de conserver à Montréal les bureaux de direction d'Alliance. D'autant que les 80 employés du siège social de la rue Saint-Antoine travaillent à la comptabilité et aux ressources humaines pour l'essentiel. Interrogé par ScreenDaily à savoir si un acquéreur pourrait déménager Alliance à l'extérieur du Québec, Victor Loewy a répondu que: «tout est possible».

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Tout semblait possible aussi à l'ancienne SGF, qui s'est fait son cinéma avec ses projets hollywoodiens. Outre sa participation dans Alliance, la société d'État s'est associée à des producteurs américains pour encourager la production locale.

Fin 2006, la SGF s'est alliée à Joel Silver et à sa maison Dark Castle Entertainment. La société d'État devait investir 18 millions US dans la production de 15 films. Mais elle n'a déboursé, au final, que 16,25 millions de dollars.

De ces 15 films, six devaient être tournés au Québec. Dark Castle affirme avoir respecté cet engagement. Cependant, Investissement Québec n'a pas la certitude que ces tournages ont représenté 1500 années-personnes, comme le stipulait l'entente, indique sa porte-parole Chantal Corbeil. Des vérifications sont en cours sur les trois derniers films tournés.

Autre résultat mitigé: l'association avec le studio Lions Gate Entertainment conclue en 2007. L'ancienne SGF prévoyait investir 140 millions US dans la production de 16 films et séries télévisées. Mais le premier film, «Punisher: War Zone», a été un flop. Produit au coût de 35 millions US, d'après les données de Mojo Box Office, il a été retiré des écrans trois semaines après avoir pris l'affiche en décembre 2008, ayant seulement recueilli 10 millions US en recettes à l'échelle mondiale. En fait, c'est la pire adaptation commerciale d'un personnage des bandes dessinées Marvel.

Devant ce bide, Investissement Québec s'est tourné vers les séries télévisées, qui sont vendues à l'avance à hauteur de 70%, ce qui évite les mauvaises surprises. Quatre ont été produites, soit «Dead Zone» et les trois saisons de «Blue Mountain State». Au final, 32 millions ont été injectés dans ces projets.

Investissement Québec ne prévoit pas de suites. Depuis la fusion de la SGF et d'Investissement Québec, il y a un an, la direction a choisi d'abandonner le secteur. «On n'est pas des experts en cinéma, et on va se concentrer sur ce qu'on connaît davantage», dit Chantal Corbeil.

Le moment de vendre est assez bien choisi dans le cas d'Alliance, qui a connu des moments plus noirs, marqués par des décotes des agences de notation de crédit. Il faut savoir qu'un seul blockbuster a l'effet d'un coup de circuit sur les résultats financiers. Or, Alliance a frappé fort en finançant le film «The King's Speech» et en le distribuant au Canada.

De quoi consoler Investissement Québec. Mais pas l'industrie cinématographique d'ici qui, souffrant d'un dollar élevé, ne voit plus les grandes productions américaines se ruer pour tourner dans les studios ou les rues du Vieux-Montréal.

Avec cette fin, il n'y a plus que le générique qui défile à l'écran.