C'est fait. Pour la première fois depuis 24 ans, la France a élu un président socialiste - le deuxième de son histoire. Ce tournant a été souligné avec exubérance, hier soir, sur la place de la Bastille.

Dès les couloirs du métro qui mène vers ce lieu mythique, une foule compacte, joyeuse et bigarrée se pressait vers la sortie en scandant «Sarkozy, c'est fini», et «Enfin, on va respirer.»

Même exultation sur la place elle-même, où la grande fête de la gauche a réuni des gens de toutes origines, beaucoup de jeunes, mais aussi de nombreux vétérans de la première victoire de François Mitterrand, en 1981. Et des familles qui voulaient vivre le moment historique avec leurs enfants.

Il y avait, dans l'air, un zeste d'atmosphère de la place Tahrir, un écho de la joie qui a électrisé Washington le jour de l'assermentation de Barack Obama. Pourtant, il ne fallait pas gratter longtemps pour s'apercevoir que sous les confettis et les bulles de champagne, il y a beaucoup de scepticisme et d'angoisse face aux années qui viennent.

François Hollande ne reçoit pas un chèque en blanc. Ce que les gens célébraient surtout, hier, c'est la fin d'une époque, sans se faire trop d'illusions sur celle qui débute aujourd'hui.

Deux partisans de François Hollande ont exprimé ce scepticisme en quelques mots, sur la place de la Bastille, hier.

Émilie Dudognon était venue célébrer ce qu'elle décrit comme une «toute petite victoire». Cette documentariste se sentait «fière de la France», parce que les électeurs ont rejeté la campagne anti-immigrants, menée par Nicolas Sarkozy pour séduire les électeurs de Marine Le Pen.

Elle se dit en accord avec les valeurs de François Hollande, mais reste sceptique face à son programme. Et inquiète devant la crise économique qui balaie Europe. Inquiète, aussi, devant la place que la défaite de Nicolas Sarkozy laisse au Front national de Mme LePen.

«Si on ne sort pas de la crise, dans cinq ou 10 ans, elle sera au pouvoir», prévoit-elle sombrement.

«Les électeurs voulaient que Nicolas Sarkozy s'en aille, mais ils ne sont pas naïfs pour autant», dit Anthony Troubert, un trentenaire qui travaille dans le domaine des télécommunications.

«François Hollande hérite d'une situation complexe. Et on ne sait pas quelle sera vraiment sa marge de manoeuvre. En attendant, on fête le départ de Sarkozy!»

La France qui émerge des cinq années de présidence de Nicolas Sarkozy regarde l'avenir avec anxiété.

«Ça va être difficile de s'en sortir sans remèdes draconiens», m'avait dit Josephine Lefol, croisée hier après-midi à la sortie d'un bureau de vote du 7e arrondissement, à Paris.

Cette historienne de l'art juge que Nicolas Sarkozy a appliqué cette médecine trop brutalement. Mais elle est loin d'être certaine que la méthode douce de François Hollande, qui prévoit financer l'embauche de 60 000 nouveaux enseignants en haussant les impôts des plus riches, passera le test de la réalité.

Au lendemain de ce 6 mai qui fera date, les Français n'attendront donc pas longtemps avant de se réveiller avec une gueule de bois. Certains l'ont déjà avant d'avoir fini de fêter.

Le pays est terriblement divisé. Après tout, au premier tour, tous les votes de droite additionnés dépassaient de quelques points le nombre de voix recueillies par les candidats de gauche.

La crise économique européenne ne fait pas relâche. Même les électeurs socialistes sont loin d'être convaincus que le nouveau président saura faire face à la situation. Et la perspective que la débâcle de Nicolas Sarkozy n'entraîne aussi celle de son parti, et que la grande bénéficiaire de ce brassage de cartes ne soit Marine Le Pen, soulève beaucoup des craintes.

Au premier tour, celle-ci a récolté 6,4 millions de voix, du jamais vu pour le Front national. Et sa popularité s'affirme sur le plan quantitatif, mais aussi sur le plan géographique: elle récolte de plus en plus de votes, dans de plus en plus de régions.

Comme l'écrivait cette semaine le Nouvel Observateur, «un quinquennat anxiogène s'achève, un autre plein d'incertitudes s'amorce». Les partisans de Nicolas Sarkozy estiment que les socialistes ne proposent pas les bons moyens pour parer à ces incertitudes, et ils appréhendent la catastrophe. Ceux de François Hollande doutent qu'il puisse aller au bout de ses idées.