La nouvelle a pris les Américains par surprise la semaine dernière: pour la première fois depuis des décennies, le solde migratoire des Mexicains entrant aux États-Unis est tombé à zéro.

Autrement dit, les ressortissants du Mexique qui retournent chez eux après un long séjour dans le «El Norte» sont aussi nombreux que leurs compatriotes qui s'amènent en sol américain pour s'y installer. Les Mexicains continuent donc de traverser le Rio Grande... mais dans l'autre sens.

Après une énorme vague d'immigration qui a amené 12 millions de Mexicains aux États-Unis durant quatre décennies, dont plus de la moitié illégalement, on est enfin revenu à l'équilibre, affirme un nouveau rapport de l'institut Pew Hispanic Center.

Ce qu'on retient d'abord de ce bilan démographique, c'est que les raisons derrière ce revirement «historique» sont surtout économiques.

Deux fois plus vite

Alors que la première puissance mondiale se redresse péniblement de la crise financière de 2008-2009, le Mexique connaît un rebond spectaculaire sur le plan économique, éclipsant même la performance de son grand rival latino, le Brésil.

Les Mexicains exilés, qui ont du mal à se trouver un emploi aux États-Unis, surtout depuis l'effondrement du secteur immobilier en 2008, ont compris: des milliers préfèrent rentrer à la maison étant donné que les perspectives d'embauche y sont meilleures. Et pour cause.

Depuis deux ans, l'économie mexicaine a cru de 8,3%, soit presque le double de la croissance américaine. Même le «Jaguar d'Amérique latine», le Brésil, n'a pu suivre la cadence mexicaine l'an dernier.

Dans cette foulée, le taux de chômage au pays de la tequila est tombé à 4,6% (mars), alors que le taux américain dépasse toujours les 8%.

À l'ombre des comètes du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), le Mexique fait pourtant peu parler de lui à l'échelle mondiale, hormis ces histoires récurrentes de corruption et, surtout, la guerre de la drogue qui a fait 50 000 morts en six ans.

Sans faire de bruit et, surtout, sans se soucier des géants du BRIC, les Mexicains ont néanmoins diversifié leurs marchés grâce notamment à divers accords commerciaux en sus de l'ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain), qui comprend le Canada et les États-Unis.

Si bien que la proportion des exportations vers les États-Unis, qui était de 90% en 2006, est tombée sous la barre des 80% l'an dernier. Preuve que les fabricants mexicains ne comptent plus seulement sur leur puissant voisin américain. On exporte de plus en plus en Amérique latine et même en Asie.

Le moteur manufacturier

Le succès économique mexicain ne passe pas inaperçu dans les milieux d'affaires, attirant de plus en plus d'investissements étrangers.

Les géants Volkswagen et Nissan, par exemple, ont injecté des centaines de millions dans leurs usines mexicaines, qui expédient désormais des voitures partout dans le monde.

Loin des maquiladoras au nord, le «nouveau» Mexique industriel - à l'image de Querétaro, une région centrale où Bombardier a construit une usine importante - est d'ailleurs le fer de lance de l'économie. Les exportations manufacturières, qui comptaient pour 2% du produit intérieur brut (PIB) en 1980, génèrent aujourd'hui le quart de l'activité économique.

Le Mexique a une main-d'oeuvre jeune et de plus en plus instruite (le pays «produit» 0,6 ingénieur pour chaque 1000 personnes, contre un taux de 0,2/1000 aux États-Unis, selon l'UNESCO).

Du coup, le pétrole ne pèse plus autant dans la balance, ne représentant que 14% des exportations du pays contre un taux exorbitant de 71%, il y a une trentaine d'années.

Dans une récente étude, la banque britannique Standard Chartered qualifie la machine mexicaine d'«économie Boucles d'or» avec sa forte croissance économique et une inflation modeste.

Et on n'a encore rien vu, selon la Banque HSBC. La part combinée des exportations et des importations, qui représente 55% de l'économie, devrait atteindre le seuil des 85% en 2017. L'économiste Sergio Martin, de la HSBC, prévoit que les exportations mexicaines doubleront d'ici huit ans.

Cela dit, les Mexicains ont encore des problèmes à régler. Outre le trafic de drogue et la corruption, la forte concentration de la richesse et le manque de concurrence dans certains secteurs créent des distorsions qui freinent l'investissement, disent les experts.

Reste que les temps changent. Les Mexicains souffrent de moins en moins d'un complexe d'infériorité, même face à leurs rivaux brésiliens, plus riches.

«Quand tout le monde est plus riche que vous, ils peuvent acheter plus», ironisait un jour le milliardaire mexicain Carlos Slim. «Ils augmentent la demande, stimulent le marché et renforcent [notre] pays».

Peur du BRIC? Pas au Mexique.