Il y a Morgane Bernet, 26 ans, récemment rentrée d'un séjour de trois ans comme volontaire au Tchad.

«Depuis que Nicolas Sarkozy est à la tête de la France, je ne suis pas fière de mon pays. Il représente le contraire de toutes mes valeurs: liberté, égalité, fraternité...»

Il y a aussi Lucie Muraire, jeune inspectrice d'impôt qui vit en Seine-Saint-Denis, une banlieue pauvre au nord de Paris, avec son mari, un enseignant.

«Chaque jour, nous voyons la dégradation des services publics. Dans l'enseignement, il y a de moins en moins d'aide pour les jeunes.» Résultat: les échecs scolaires se multiplient, selon elle.

Puis, il y a Jean-Louis Marsac, premier adjoint à la mairie de Villiers-le-Bel, une ville de banlieue qui avait été embrasée par les émeutes de 2007. Fraîchement élu, Nicolas Sarkozy avait alors promis de venir en aide aux quartiers les plus pauvres. «Mais il n'a rien fait. Au contraire, toute la politique des quartiers s'est affaissée.»

Enfin, il y a Bruno Ben Moumamba, qui avait failli tomber à la renverse en entendant le président Sarkozy reprocher aux Africains de «ne pas être assez entrés dans l'Histoire». C'était au début de son règne, dans un discours prononcé à Dakar.

Avec Nicolas Sarkozy, la France s'est mise à l'heure de la «guerre des civilisations», déplore ce Français d'origine gabonaise.

Vous avez compris: Morgane, Lucie, Jean-Louis et Bruno comptent voter pour François Hollande, dimanche prochain. Je les ai croisés hier, au dernier grand rassemblement public du candidat socialiste, au Palais omnisports, à Paris.

Devant la pyramide recouverte de pelouse, des bénévoles portant les couleurs de François Hollande vendaient des saucisses merguez et des brochettes. «Recase-toi, pauvre président», affirmaient les t-shirts de campagne vendus à la sortie du métro - pastiche du fameux «casse-toi, pauvre con», que Nicolas Sarkozy avait un jour lancé à un homme ayant refusé de lui serrer la main.

Plus de 20 000 militants et sympathisants ont répondu à l'invitation du candidat socialiste. Ce qui m'a le plus frappé dans les propos échangés avec une quinzaine d'entre eux, c'est leur sentiment de vivre dans un pays qui ne leur ressemble pas, dirigé par un président qui ne ressemble pas à un président...

«Nicolas Sarkozy n'a pas la dignité d'un chef d'État. Il fait n'importe quoi», a pesté un retraité.

«Sarkozy ne représente pas les valeurs de la République», a déploré un étudiant en histoire, Robin Leconte.

Ces propos me rappelaient un peu ce que disaient les partisans de Barack Obama, avant l'élection de 2008. Eux non plus ne se reconnaissaient pas dans les États-Unis et les valeurs de George W. Bush.

Mais la comparaison s'arrête là. Car le mouvement pro-Hollande n'a pas l'intensité de la vague pro-Obama. Il est aussi beaucoup plus lucide. «Maintenant, il faut que Hollande ne nous déçoive pas», dit Bruno Ben Moubamba.

«Ce qu'il veut faire, c'est clair. La question, c'est est-ce qu'il va y parvenir», affirme une partisane socialiste un peu sceptique.

Comme les partisans d'Obama, les électeurs de François Hollande s'accrochent donc à l'espoir d'un changement, et partagent avec lui une certaine vision de la France. Mais ils ne sont pas convaincus qu'une fois élu, leur candidat saura mener ses projets à terme.

Le principal intéressé a tenté de les en convaincre, hier, dans un discours de plus d'une heure, où il a fustigé son adversaire pour ses propos contre l'immigration, frappé sur le clou de la croissance économique, et essayé de démontrer qu'il aurait les moyens financiers pour mettre en vigueur ses politiques.

Ainsi, il a aussi fait valoir que l'une de ses principales promesses, l'embauche de 60 000 nouveaux enseignants, serait financée par l'abolition des allègements fiscaux consentis aux plus riches sous Nicolas Sarkozy. Et il a juré que cela ne l'empêcherait pas d'éliminer en cinq ans le déficit budgétaire de la France.

«Il faut y croire», m'a soufflé un de ses partisans.

Un peu plus tôt, devant le quartier général de Nicolas Sarkozy, une bénévole, Marie-Madeleine Malvinsky, m'a avoué que si elle venait donner un coup de main à la campagne du président, c'est pour y trouver des mots d'encouragement. Car, avec les sondages qui donnent une avance de 10 points à François Hollande, la victoire, elle a de plus en plus de peine à y croire.

«Le vote de gauche est un vote poubelle, tout le monde déteste le président», a dit la dame de 68 ans, qui reproche elle-même à Nicolas Sarkozy de ternir son image avec son discours contre les immigrants. «Parfois, j'aimerais qu'il se calme un peu...»

La victoire est-elle vraiment dans la poche pour François Hollande? ai-je demandé à son directeur de campagne, Pierre Moscovici, croisé à la sortie de Palais omnisports.

«Dans la poche, non. Mais à la portée de la main...»