La gloutonnerie est omniprésente dans la rémunération des hauts dirigeants des grandes entreprises inscrites en Bourse. Est-ce aussi le cas parmi le Québec inc.?

À la lumière du relevé que mon collègue Martin Vallières a publié samedi dernier sur la rémunération des dirigeants des 25 entreprises québécoises à plus grosse capitalisation boursière, il appert que plusieurs de nos PDG du Québec inc. n'ont rien à envier aux grands patrons du Canada inc.  

Prenons Michael Sabia comme mesure de référence raisonnable. Bien que sa rémunération ait été critiquée, le PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec ne fait pas le poids quand on compare sa rémunération à celle des 15 patrons les mieux rémunérés du Québec inc. de la Bourse. Pourtant, il dirige la plus grande institution de placements au Canada, avec ses 159 milliards de dollars d'actif net.  

M. Sabia a obtenu en 2011 une rémunération totale de 1,7 million, comparativement à 9,6 millions pour George Cope, grand patron de son ancien employeur BCE/Bell Canada. M. Sabia fait également figure de PDG sous-payé quand on compare son revenu à celui des présidents et chefs de direction des entreprises suivantes: Louis Vachon de la Banque Nationale (8,4 millions); Claude Mongeau du Canadien National (8,2 millions); Pierre Beaudoin de Bombardier (8,1 millions); Jeffrey Orr de Financière Power (7,7 millions); John D. Williams de Domtar (6,7 millions); Ian Greenberg d'Astral Média (5,7 millions); André Desmarais et Paul Desmarais Jr de Power Corp. (5,2 millions); Alain Bédard de TransForce (5,1 millions).  

Remarquez que la rémunération de M. Sabia est même nettement inférieure à celle du grand patron de Teachers', qui a encaissé 4,4 millions, et celle du patron du Régime de pension du Canada, qui a reçu près de 3 millions.  

Autre mesure comparative qui en dit long sur la «générosité» des grandes entreprises du Québec inc. envers leurs cinq dirigeants les mieux rémunérés: la Caisse arriverait au 16e rang avec une rémunération globale de 9,5 millions en 2011. Cela comprend le salaire de base, la rémunération incitative acquise et différée, la valeur actualisée de la prestation de retraite acquise, autre rémunération. La Caisse est ainsi largement devancée par la Banque Nationale (25,7 millions à ses cinq dirigeants); BCE/Bell Canada (22,1 millions); Bombardier (22 millions); Canadien National (19,5 millions); Mines Osisko (16 millions); Financière Power (15 millions); CGI (14,9 millions); Domtar (13,9 millions); Astral (13,6 millions); SNC-Lavalin (12,9 millions).  

Question: est-ce que ce sont les dirigeants de la Caisse qui ne gagnent pas un revenu à la hauteur de leurs responsabilités, ou est-ce que ce sont les dirigeants des grandes sociétés du Québec inc. qui encaissent une rémunération trop élevée?  

Les hauts dirigeants de la Caisse perçoivent une alléchante rémunération si on compare celle-ci avec la rémunération des hauts gradés des deux ordres de gouvernement, et des premiers ministres et ministres.  

Mais par rapport au milieu de la haute finance, les dirigeants de la Caisse sont dans la moyenne, sans plus. Ce sont les hauts dirigeants de plusieurs grandes sociétés qui sont manifestement surpayés.  

Le problème de la rémunération des dirigeants des grandes sociétés cotées en Bourse est similaire à celui qui a cours dans le sport professionnel. C'est un problème de concurrence. Pour attirer les «vedettes» de la haute finance, et les garder dans ses rangs, il faut mettre le paquet. Il s'ensuit une escalade sur le plan des salaires, des primes incitatives, des options sur actions, etc.  

Cette escalade ne peut que s'amplifier puisque la rémunération des hauts dirigeants est établie en fonction du marché de référence pour les divers postes de direction. Ce marché de référence de la haute finance (incluant les grandes entreprises et institutions) se «nourrit» par lui-même grâce aux augmentations enregistrées année après année ou presque.  

Quelle serait la meilleure recette pour rémunérer équitablement les hauts dirigeants des entreprises inscrites en Bourse? Quand je dis «équitablement», c'est par rapport aux actionnaires des entreprises. Il ne faut jamais oublier cette prémisse: plus le conseil d'administration de l'entreprise XYZ verse une rémunération démesurée à ses hauts dirigeants, plus cela réduit les bénéfices de celle-ci. Cela a donc un impact sur le cours/bénéfice et le prix de l'action en Bourse. Plus l'entreprise attribue des options sur actions aux dirigeants, plus cela dilue le capital-action des actionnaires.  

Pour être équitable envers les actionnaires, la rémunération des hauts dirigeants devrait tenir compte d'un facteur clé: le rendement de l'action en Bourse (incluant le dividende s'il y a lieu) lors des 12, 15, 18 ou 24 mois précédents.  

Cela aurait au moins pour conséquence d'empêcher les hauts dirigeants d'une entreprise de se faire accorder une généreuse augmentation de rémunération alors que les actionnaires voient la valeur de leurs actions grimper nettement moins en Bourse ou même chuter.

Dans le palmarès de la rémunération des dirigeants du Québec inc. que mon collègue Martin Vallières a dressé, il y a 10 sociétés (sur 25) où on constate un flagrant déséquilibre entre la hausse de la rémunération totale accordée en 2011 et le rendement des actions en 15 mois (voir tableau).

Passons maintenant à la bonne nouvelle. Plus les entreprises versent une rémunération élevée à leurs dirigeants, plus c'est payant pour la collectivité. Grâce à quoi? Aux impôts! À partir d'un revenu imposable de 130 000$, le taux d'impôt marginal passe à 48,2% au Québec.  

Amenez-en de la grosse rémunération d'entreprise!