Il y a une coupure sociale au Québec. Mais pas tant entre une jeunesse mobilisée et des aînés qui ne la prennent pas au sérieux. Ni entre une population qui veut réinventer le développement économique et un gouvernement entêté qui refuse de l'entendre.

Non, la coupure la plus frappante, c'est entre l'idée qu'on peut se faire de ce qui se passe au Québec et ce qui s'y passe vraiment. Entre le message de la rue et la réalité des choses.

Le sondage CROP que La Presse a publié hier montre de façon convaincante qu'il n'y a pas de printemps québécois. Pour qu'il y ait un quelconque printemps, il faudrait qu'un vent de changement, au départ marginal, prenne de l'ampleur, se répande et devienne plus consensuel. Rien de tel au Québec.

Que dit ce sondage? Avec un appui de 30%, les libéraux ne bougent pas. Le PQ perd des plumes, en voyant ses appuis chuter de 34% à 28% en un mois. La CAQ enraye sa descente, en passant de 24% à 25%. Les trois grands partis sont si proches qu'il est difficile de faire une prédiction électorale, sinon pour dire que le prochain gouvernement, quel qu'il soit, serait minoritaire.

Mais on peut aussi noter deux choses. D'abord, que les mouvements d'opposition, pourtant si visibles, n'affectent pas le gouvernement libéral, à sept points de plus qu'il y a un an. Et que le seul grand parti qui appuie toutes les causes, le PQ, - contre les hausses des droits de scolarité, contre le Plan Nord, bien présent à la marche du Jour de la Terre - est celui qui perd du terrain. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la verdeur printanière des mouvements de la rue ne se traduit pas en intentions électorales, sinon pour donner un infime regain aux Verts et à Québec solidaire.

Je ne veux pas banaliser ce qui se passe autour de nous. La grève étudiante a connu une ampleur insoupçonnée et elle risque de laisser des cicatrices.

La marche de dimanche dernier, par l'ampleur de la participation et le climat de sérénité qui y régnait, était impressionnante. Elle montrait certainement l'existence d'une préoccupation croissante pour les enjeux environnementaux. Elle envoyait un message aux politiciens. Mais lequel? Il était difficile à décoder, en raison de la multiplicité des causes et du caractère très vague du thème de la marche. Qui peut être contre le bien commun?

Le succès de la marche de Montréal s'expliquait aussi par les renforts dont ont profité les organisateurs - artistes, centrales syndicales, étudiants en grève - qui l'ont transformée en grand-messe anti-Charest. Cela ne nous a rien appris. Nous savions déjà que ce gouvernement et son premier ministre battent des records d'impopularité. À peine 24% des répondants de notre sondage sont satisfaits des libéraux.

S'il y a un lien entre le message implicite de la marche de dimanche et les résultats du sondage, c'est dans la déception et la désillusion que suscite la classe politique québécoise. Aucun des trois partis ne s'impose ou ne provoque le moindre enthousiasme. Aucun de ses chefs ne trouve grâce aux yeux des électeurs. Quand on leur demande lequel ferait le meilleur premier ministre, les deux gagnants s'appellent «Aucun», avec 20%, et «Je ne sais pas», avec 21%. À peine 17% choisissent Pauline Marois, tandis que Jean Charest et François Legault ne font pas mieux, avec 17% chacun.

Il y a là un vide que les mouvements de contestation, pourtant si visibles, ne comblent manifestement pas. En ce sens, le climat qui règne au Québec, ce n'est pas celui d'un printemps, mais plutôt le temps tristounet de l'automne.