Il y a eu Avon en Chine. Il y a eu SNC-Lavalin en Afrique du Nord. Et maintenant, c'est au tour de Walmart au Mexique. En l'espace de quelques mois, des affaires de corruption ont éclaboussé trois des plus grands noms du monde des affaires.

Coïncidence? Cas isolés? Difficile de croire que ces multinationales qui se présentaient comme les champions de l'éthique en affaires, avec leur code de déontologie méticuleusement rédigé, puissent avoir développé soudainement un goût prononcé pour les pots-de-vin. Avec cet expédient pour multinationales qui paraît érigé en système, on a plutôt l'impression d'effleurer la pointe de l'iceberg.

La corruption est aussi vieille que le monde. Des gens ambitieux et pressés qui veulent faire avancer leurs dossiers, il y en a toujours eu. Et il y en aura toujours. Comment s'assurer qu'une entreprise comme Walmart Stores, qui compte 2,2 millions d'«associés» répartis dans 27 pays, se conforme en tout temps aux lois américaines et internationales?

Le problème, ce n'est pas que les dirigeants de Walmart of Mexico ou Walmex aient apparemment versé plus de 24 millions US en pots-de-vin à des élus ou à des bureaucrates mexicains au milieu des années 2000. (C'est sans parler de dons politiques «généreux» qui totaliseraient 16 millions depuis 2003, selon les estimations d'enquêteurs retenus par le détaillant.)

Le problème, c'est que la haute direction du géant de Bentonville, en Arkansas, ait tenté d'étouffer l'affaire. Ce qui revient à cautionner des pratiques vraisemblablement illégales aux États-Unis et au Mexique.

À cet égard, le parallèle avec SNC-Lavalin est frappant. Pierre Duhaime a quitté la présidence de cette firme d'ingénierie après avoir approuvé le paiement de 33,5 millions US en honoraires à des lobbyistes fictifs, une facture hautement irrégulière que deux hauts placés de SNC-Lavalin International avaient préalablement refusé d'acquitter. L'entreprise montréalaise affirme ignorer ce qui est advenu de ces millions qui auraient pu servir à verser des bakchichs.

L'enquête que le New York Times a publiée samedi sur les pratiques chez Walmex est particulièrement accablante pour le détaillant américain. Les titres de Walmart et de sa filiale mexicaine ont d'ailleurs accusé le coup en Bourse, hier, en reculant de 4,7% et de 12,2%, respectivement. Jamais cette filiale, détenue à 69% par Walmart Stores, n'avait connu une journée aussi noire à la Bourse de Mexico.

Ce texte de près de 7600 mots se lit comme un roman de Stieg Larsson, la violence en moins. Un ancien responsable de l'immobilier chez Walmart a eu un cas de conscience et a dénoncé les pratiques de la filiale mexicaine à une avocate travaillant au siège social de Bentonville, en Arkansas. C'était, tenez-vous bien, en septembre 2005.

Cette avocate a déclenché une enquête interne. Celle-ci a confirmé sans aucun mal plusieurs des informations précises du délateur sur les versements, par des avocats, de «gestores» dans des enveloppes brunes. Ces paiements pour l'obtention de permis de bâtir ou pour accélérer les études d'impact environnemental se sont multipliés sous la direction d'Eduardo Castro-Wright.

Walmart a promu cet Équatorien d'origine à la haute direction aux États-Unis puis à la vice-présidence du conseil en raison des progrès spectaculaires du détaillant au Mexique. À la suite d'une croissance très rapide, Walmart est ainsi devenu le premier employeur privé du pays avec 209 000 salariés.

Même si les enquêteurs en sont venus à la conclusion que les lois anticorruption des États-Unis et du Mexique avaient été bafouées, la haute direction de Walmart n'a toutefois pas dénoncé cette situation aux autorités. En fait, le détaillant a seulement annoncé au ministère de la Justice qu'il menait une enquête interne en décembre dernier après avoir appris que le New York Times investiguait sur l'affaire.

Les hauts dirigeants, dont l'ancien chef de direction Lee Scott Jr., aujourd'hui administrateur, ont plutôt reproché aux enquêteurs internes de mener une chasse aux sorcières. Ils leur ont retiré le dossier pour le confier à l'un des avocats de la filiale mexicaine. Un choix étonnant vu que José Luis Rodriguezmacedo Rivera était lui-même visé par les allégations de corruption. Sans surprise, cet avocat mexicain a rapidement conclu, dans un rapport de six pages, que rien ne permettait de croire que des représentants de Walmex versaient des pots-de-vin!

Qui connaissait cette dérive? Michael Duke, le chef de la direction actuel qui, à l'époque, était responsable des filiales à l'étranger à titre de grand patron de Walmart International. Dévastateur.

Walmart a préféré taire cette histoire, au risque qu'elle lui explose au visage plus tard. À l'évidence, l'entreprise estimait que les dommages d'une confession à sa réputation seraient plus grands que l'amende à laquelle elle s'expose en vertu de la vieille loi américaine qui, depuis 1977, interdit le versement de pots-de-vin à l'étranger.

Un risque calculé, en sorte, qui n'est pas dénué de fondement. Les punitions pour corruption impressionnent rarement. En ce sens, elles n'ont pas un grand effet dissuasif. Surtout pas pour Walmart, une entreprise avec 444 milliards US en revenus.

De la même façon, les crimes économiques ont longtemps été considérés d'un oeil indulgent par les procureurs et les juges. Mais la justice a évolué à la suite de malversations spectaculaires qui ont ruiné des employés et des actionnaires, petits et grands. Même si elle n'est pas physique, la violence d'un Bernard Madoff ou d'un Vincent Lacroix n'en est pas moins grande.

À quand la révolution anticorruption?

La corruption est un cancer pour les sociétés démocratiques. La justice américaine a maintenant une occasion en or pour envoyer un message. En espagnol et en anglais.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca