Sur les 3200 employés et ex-employés de la papetière AbitibiBowater qui ont reçu l'an dernier un dédommagement dans le cadre de la restructuration de l'entreprise en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), environ 2400 personnes se sont fait dédommager en actions.

Il y a fort à parier que la plupart d'entre eux se retrouvent aujourd'hui dans une situation similaire à l'ex-employé Jean Bédard dont j'ai raconté la mésaventure financière dans une récente chronique, Le fisc empoche sa bonification de retraite.

Je résume son drame. Sur une réclamation de 38 558$ pour une bonification de pré-retraite non payée, M. Bédard n'a finalement reçu qu'un dédommagement de 5603$, réparti comme suit: une somme de 238,70$ comptant, plus un lot de 203 actions, à une valeur initiale de 26,40$ l'action.

Son problème? Alors qu'il devra payer quelque 2000$ d'impôts sur ce dédommagement de 5603$ (considéré comme du revenu d'emploi par le fisc), la valeur réelle de ses 203 actions a fondu de moitié (à 13$) à la suite de la déconfiture du titre en Bourse.

M. Bédard se retrouve donc dans l'inconfortable position où la «valeur nette» de son dédommagement de 5603$ tombe après impôts en dessous de 1000$. Encore plus injuste fiscalement parlant: alors que le fisc traite ce dédommagement en actions comme du revenu d'emploi pleinement imposable, il traitera les pertes sur ces mêmes actions comme des pertes en capital, donc à moitié déductibles, et seulement à l'encontre de gains en capital.

À l'instar de M. Bédard, les 2399 autres employés ou ex-employés d'AbitibiBowater (incluant des Américains) qui ont reçu leur dédommagement en actions sont sans doute aux prises avec de lourdes pertes. Le titre s'est rapidement effondré à partir du moment où le prix des actions a été déterminé aux fins du calcul des dédommagements à verser par rapport aux réclamations des créanciers d'AbitibiBowater, entre mi-avril et mi-mai 2011. La papetière a depuis changé son nom pour AbiBow Canada Inc. et... Produits forestiers Résolu.

Le porte-parole de la compagnie et directeur principal Affaires publiques - Canada, Pierre Choquette, tient toutefois à préciser que les employés et ex-employés avaient reçu en novembre 2010 de la part du syndic Ernst&Young deux documents où on leur donnait le choix de recevoir les actions ou de les monétiser en acceptant de donner un ordre de vente.

«Il était possible de faire monétiser ses actions peu de temps après les avoir reçues. Dans ce cas, explique M. Choquette, le traitement fiscal aurait été le même, mais le nouvel actionnaire n'aurait pas subi la baisse de la valeur marchande de l'action. Il était également possible de faire effectuer des retenues à la source sur sa réclamation.»

«Après vérifications auprès d'Ernst&Young, au moins 25% des employés ont soit monétisé leurs actions et/ou opté pour l'option de faire effectuer des retenues à la source sur réclamation.»

Jean Bédard admet avoir reçu ces documents explicatifs. Mais, étant néophyte de la Bourse, dit-il, jamais il ne croyait que les actions qu'on lui offrait allaient s'effondrer aussi rapidement. Le certificat des 203 actions d'AbitibiBowater qu'a reçu M. Bédard porte la date du 10 octobre 2011. L'action ne valait plus que 16$ à ce moment-là, soit 10$ de moins qu'en mai, moment de la fixation du prix des actions pour le dédommagement.

Autre surprise pour M. Bédard: comme il réclamait une bonification de retraite, il était convaincu que le dédommagement lui serait versé en franchise d'impôt...

Vous allez me dire qu'il n'avait qu'à s'informer auprès d'un fiscaliste pour obtenir les précieux conseils. Quand votre entreprise se place sous la protection de la loi sur les faillites et que vous risquez de tout perdre, peu d'employés ont les moyens de se payer les savants conseils de fiscalistes!

Pour vous montrer à quel point l'arrangement d'AbitibiBowater avec ses créanciers est parsemé d'embûches, un ex-cadre attend toujours le dédommagement de quelque 80 000$ qu'on lui avait promis. On lui a dit que le dédommagement est basé sur des actions évaluées à 25$.

Le hic? La proposition qu'on lui a faite remonte au 28 septembre 2011, l'action se négociant à 16,00$. Ainsi, avant même de signer l'entente, il se retrouvait avec des actions qui étaient en baisse de 36%. Aujourd'hui, les mêmes actions qu'il n'a toujours pas reçues... se négocient à la moitié du prix d'attribution.

Comble de ridicule, l'ex-cadre va tantôt devoir déclarer un revenu de 80 000$ alors qu'il ne recevra concrètement que la moitié du dédommagement.

Il en sera finalement quitte pour payer 35 000$ d'impôt sur un revenu d'à peine 40 000$.

C'est ce qu'on appelle de l'impôt usuraire!