Il y a eu 18 jours d'euphorie. Puis, des mois de désillusions, de reculs et de défaites. L'écrivaine égyptienne Ahdaf Soueif s'en désole. Mais elle préfère se concentrer sur les victoires. Celles qui ont déjà été remportées. Et les autres, qu'elle croit toujours possibles.

C'est d'ailleurs ce parti pris pour l'ultime victoire qui explique le désordre chronologique de son dernier livre - Cairo, My City, Our Revolution -, où elle raconte sa ville natale, Le Caire, à travers les rassemblements fiévreux de la place Tahrir.

Son récit débute au moment des premiers rassemblements contre la dictature d'Hosni Moubarak, en janvier 2011. Ahdaf Soueif reconstitue ces événements, auxquels elle a participé, avec ses proches, et qu'elle a suivis pour le quotidien The Guardian.

Puis, elle appuie sur l'accélérateur et nous projette dans le fouillis postrévolutionnaire de l'été 2011. Avant de nous ramener vers la fameuse place où un régime aux abois s'apprête à dépêcher ses sbires montés sur des chameaux.

Pourquoi ces allers-retours dans le temps? «Parce que je voulais que mon livre se termine sur la chute de Moubarak, qu'il aboutisse à une victoire!»

Jeune soixantaine vibrante, les cheveux ondulés striés d'une bande blanche, Ahdaf Soueif est de passage à Montréal, ce week-end, à l'occasion du festival Metropolis bleu.

Nous commençons par parler de son livre, mais inévitablement, nous débouchons sur le terrain de la politique. Difficile à éviter quand on parle de ce pays où tout bouge si vite que des réflexions faites en octobre paraissent presque anachroniques, aujourd'hui.

«Le paysage égyptien est mouvant, dynamique, ce n'est pas le moment de faire des théories, il faut agir», dit l'écrivaine qui a longtemps vécu entre Londres et Le Caire. Mais qui vit maintenant à plein temps dans son quartier de Zamalek.

Elle souligne que la nouvelle Égypte se reconstruit et se déconstruit à une vitesse folle. Récemment, les Égyptiens ont été plongés dans un électrochoc: Omar Souleimane, bras droit de Moubarak pendant les derniers jours de son règne, a annoncé qu'il présentait sa candidature à la présidentielle de juin.

«Quelques semaines plus tôt, cela aurait semblé complètement impensable. Mais quelques jours plus tard, il était hors jeu.»

C'est que la Commission électorale égyptienne a disqualifié ce candidat, en même temps qu'une dizaine d'autres, dont un leader des Frères musulmans - lesquels juraient, il n'y a pas si longtemps, qu'ils ne brigueraient jamais la présidence! Même pas le temps de discuter de ces revirements de situation que l'actualité est déjà ailleurs.

Aux yeux d'Ahdaf Soueif, la décision de la Commission électorale fait partie de ces victoires qui sont gagnées, centimètre par centimètre, par ceux qu'elle considère comme les défenseurs de la révolution égyptienne.

Autre victoire: les islamistes, qui ont gagné les législatives de novembre et ont réussi à prendre le contrôle de la commission chargée de rédiger la future constitution égyptienne, viennent d'être renvoyés à leurs planches à dessin. Un tribunal a jugé que, telle que constituée, cette commission était illégale.

«Les 18 jours de révolution représentent le pays que nous voulons, dit l'écrivaine. Notre travail, aujourd'hui, c'est de continuer à pousser dans la bonne direction.»

Mais y a-t-il encore un «nous», dans cette nouvelle Égypte divisée entre d'innombrables factions? «Oui, tranche l'écrivaine. Ce nous est formé d'un noyau de gens qui croient en une société juste, libre, qui respecte les droits de la personne.»

Devant eux, il y a tous ceux qui s'accrochent à l'ordre ancien. À commencer par le Conseil militaire suprême qui n'hésite pas à recourir à la violence pour garder le pouvoir.

Quand elle y pense, Ahdaf Soueif se dit que les protestataires n'auraient jamais dû quitter la place Tahrir après le départ de Moubarak, le 11 février 2011. Qu'ils ont été naïfs de croire les dirigeants de l'armée quand ceux-ci ont promis de remettre le pouvoir aux civils.

Mais la place Tahrir peut toujours servir. Hier, ils étaient des dizaines de milliers à y réclamer la fin du régime militaire. Ahdaf Soueif est certaine qu'ils viendront à bout de la dictature militaire. Tandis que les islamistes les plus radicaux se discréditeront, eux, par leurs mesures impopulaires.

Ça va prendre du temps: deux ans, trois peut-être, selon elle. Et d'ici là, il y aura des hauts et des bas. «Mais nous avons assez d'optimisme pour continuer à nous battre.»

Les réflexions d'Ahdaf Soueif ne concernent pas uniquement l'Égypte. Les printemps arabes ont produit des inquiétudes et des déceptions également en Tunisie, et plus encore en Libye. Avant de condamner à l'échec les rêves et les idéaux de ceux qui y ont courageusement combattu des régimes féroces, donnons-leur donc une chance de terminer leurs révolutions. Deux ans, ou trois. Avec des hauts et des bas.