La dernière fois que j'ai rencontré à Calgary un représentant de la National Citizens Coalition (NCC), groupe de réflexion et de pression de droite, j'ai passé deux bonnes heures avec un certain... Stephen Harper.

C'était en 2001. M. Harper avait quitté la politique après avoir été député réformiste de 1993 à 1997 et il venait de publier sa fameuse théorie du «mur coupe-feu» (firewall), une proposition visant à mettre l'Alberta à l'abri des orientations centralisatrices d'Ottawa. Cette idée vient d'ailleurs de refaire surface en Alberta, récupérée par Danielle Smith, chef du parti Wildrose.

J'ai remis ça cette semaine à Calgary en rencontrant un des porte-parole du NCC, Sam Armstrong, qui a bien rigolé quand je lui ai dit qu'il allait peut-être, comme Stephen Harper, devenir premier ministre du Canada.

M. Armstrong connaît bien Stephen Harper. Il connaît bien, aussi, la mouvance conservatrice de l'Ouest et il dit simplement «Danielle» quand il parle de la chef du Wildrose.

Mettez Stephen Harper, mouvement conservateur albertain et Danielle Smith ensemble et vous obtenez le nouvel axe dominant au Canada, qui s'est déplacé, sans contredit, de l'Est vers l'Ouest. L'élection possible du Wildrose, lundi en Alberta, complèterait le tour du chapeau de Stephen Harper: le pouvoir à Ottawa, la mairie de Toronto et, enfin, une très proche alliée en Alberta.

Les conservateurs règnent déjà sur l'Alberta depuis 41 ans, cela ne changera donc pas grand-chose qu'un parti plus «conservateur» les remplace, direz-vous. Selon Sam Armstrong, les choses vont changer. «Elles ont déjà commencé à changer, précise-t-il. Danielle et le Wildrose sont beaucoup plus proches des conservateurs de Stephen Harper, les liens sont plus serrés.»

L'équipe de campagne de Mme Smith est d'ailleurs composée en grande partie de «Harperites» (supporteurs et organisateurs de Stephen Harper). Le directeur de campagne du Wildrose est Tom Flanagan, ancien proche conseiller de M. Harper, et la très grande majorité des députés conservateurs fédéraux albertains appuient ouvertement le Wildrose.

Chez les électeurs, le lien entre conservateurs fédéraux et provinciaux n'est pas automatique. Environ 300 000 Albertains ont voté Harper au fédéral en 2011, mais n'avaient pas voté au provincial en 2008, or ils voteront maintenant pour le Wildrose, explique M. Armstrong. Un autre pas vers l'union de la droite. Un autre pas de la droite vers le pouvoir durable au Canada.

À Calgary, on sent que les plaques tectoniques de la politique canadienne ont bougé. La droite a toujours été plus présente ici, mais elle est maintenant confiante, décomplexée, elle s'assume, elle s'organise et s'installe au pouvoir, en bâtissant son réseau sur l'axe Ottawa-Toronto-Calgary.

C'est le vieux rêve de Preston Manning qui est en train de prendre forme. Le centre qu'il dirige, le Manning Centre for Building Democracy, est plus actif que jamais et veut devenir la Mecque du mouvement de droite du Canada. Dès septembre, le Centre, où l'ancien chef du Reform a toujours un bureau, offrira de la formation politique pratique à des organisateurs conservateurs de partout au pays (School of Practical Politics).

L'élection, lundi, d'un nouveau gouvernement formé par le Wildrose, plus à droite que le Parti conservateur au pouvoir ici depuis 1971 (et devenu trop soft, selon plusieurs), permettrait de pousser l'expérience libertarienne un cran plus loin.

Danielle Smith affirme que l'Alberta est une superpuissance énergétique et qu'elle doit se comporter comme telle. Elle semble avoir trouvé un allié en Stephen Harper qui, comme elle, veut accélérer les évaluations environnementales pour l'exploitation des ressources naturelles.

Les similitudes entre la campagne du Wildrose et celle de Stephen Harper en 2006 (qui lui a permis de prendre le pouvoir) sont frappantes (il y a du Flanagan là-dedans!): cinq idées fortes, dont trois identiques (une aide financière directe aux parents, la réduction du temps d'attente pour les soins de santé et une loi sur la transparence gouvernementale), attaques frontales contre un gouvernement corrompu et usé.

On note aussi la même stratégie sur les questions morales. On laisse les candidats parler, puis on affirme qu'il n'est pas question de légiférer sur ces sujets.

Un candidat du Wildrose à Calgary, le pasteur Ron Leech, a déjà dit que l'homosexualité est une «insulte à Dieu». Il a ajouté cette semaine que le fait qu'il soit blanc constituait un avantage sur les candidats ethniques puisque lui, contrairement à eux, peut parler au nom de tous. Un autre candidat, lui aussi pasteur, Allan Hunsperger, a écrit que les homosexuels «vivraient pour l'éternité dans les flammes de l'enfer». Les candidats ont droit à leur opinion, mais ce n'est pas la politique officielle du parti, a répliqué la chef.

Danielle Smith elle-même a déjà écrit que les contribuables ne devraient pas payer pour les avortements, mais elle a affirmé être pro-choix durant la campagne.

Par ailleurs, le Wildrose promet une loi garantissant le «droit à la conscience», qui permettrait à un médecin de ne pas prodiguer certains soins en raison de ses croyances (pensez avortement ou pilule du lendemain) ou à un commissaire au mariage de ne pas unir un couple homosexuel. Mme Smith entretient la confusion en ajoutant que ce sera aux juges de trancher ces dilemmes moraux...

Comme Stephen Harper: le chaud et le froid. Juste assez pour plaire à la base le plus à droite, sans effrayer les conservateurs modérés.

Et comme Stephen Harper, Danielle Smith se méfie de ses candidats. C'est pourquoi son parti a exigé de chacun d'eux un «dépôt de bonne conduite» de 1000$ avant la campagne!