Le détaillant Metro s'est fait éclipser mercredi, et pas rien qu'un peu. Au moment où il diffusait ses derniers résultats, Alimentation Couche-Tard a dévoilé son offre publique d'achat sur la chaîne scandinave Statoil Fuel&Retail, une transaction de 3,6 milliards qui catapulte le détaillant québécois en Europe.

Les analystes qui couvrent Metro, les mêmes qui devaient disséquer cette transaction, ont expédié sa téléconférence. En 20 minutes, un chrono record de mémoire de journaliste, tout était fini.

Éric Richer La Flèche, président et chef de la direction, peut difficilement s'en plaindre. Metro possède près de 21 millions d'actions de Couche-Tard, aux dernières nouvelles. Ces actions ont bondi de 15% mercredi avant de se replier quelque peu hier. Pour le titre d'un acquéreur, c'est rarissime.

C'était la première téléconférence de Metro depuis que ce détaillant a perdu son chef de la direction financière. Après six années dans ce poste névralgique, Richard Dufresne a fait défection chez George Weston, ce géant de l'industrie alimentaire qui chapeaute Loblaw, premier épicier au pays.

Étonnamment, le choix de son successeur n'a pas été abordé durant cette téléconférence. Metro espère pourvoir ce poste au cours des prochaines semaines, a indiqué Éric Richer La Flèche en entrevue. «Il n'était pas malheureux chez nous», fait-il valoir.

C'est la première fois que le grand patron de Metro commente ce départ controversé. «C'est sûr qu'il a des informations stratégiques, je serais fou de le nier, poursuit-il. Mais on se fie à son sens de l'éthique. Je suis convaincu qu'il va respecter ses obligations fiduciaires.»

Jusqu'à aujourd'hui, Metro n'avait pas trop à s'inquiéter de Loblaw. Depuis six ans, Loblaw est son propre pire ennemi, avec des systèmes informatiques de gestion des stocks défaillants. L'entreprise ontarienne devra encore investir lourdement jusqu'en 2014 avant que ses systèmes soient entièrement fonctionnels.

Pendant ce temps, Metro rapporte hausse des profits après hausse des profits. Et les résultats du deuxième trimestre, supérieurs aux attentes des analystes, n'ont pas fait exception. Le bénéfice d'exploitation a grimpé de 7,2% comparativement à l'an dernier, cependant que les ventes progressaient de 3,7% (1% chez les magasins comparables). Et cela, en dépit du fait que les consommateurs restent frileux.

Les bonnes nouvelles ne sont pas des nouvelles, ironisent les anglophones avec justesse. Malheureusement pour eux, les détaillants canadiens pourraient se retrouver dans les journaux plus souvent qu'ils ne le souhaitent. Metro y compris.

Metro a toujours réussi à accroître la cadence de ses profits. Mais alors que le paysage concurrentiel se transforme au Canada avec la venue de géants américains, le défi n'a jamais été aussi grand.

On a beaucoup parlé de l'arrivée de Target, qui a repris les baux d'anciens magasins Zellers. Mais à l'évidence, Target inquiète beaucoup moins Éric Richer La Flèche que Walmart. Plusieurs Metro se trouvent à proximité des futurs Target dans des centres commerciaux. Or, les baux de ces supermarchés restreignent, voire interdisent la vente de produits frais par les autres locataires du centre commercial. Ce dirigeant croit ainsi que Metro pourrait profiter de la popularité de Target dans ces emplacements.

«Au net, ce pourrait être bon», dit Éric Richer La Flèche. Il attend toutefois de voir le concept canadien de Target avant d'arrêter son jugement.

Metro est beaucoup moins zen quant aux investissements accélérés de Walmart Canada au Québec, même si Éric Richer La Flèche ne le concède pas ouvertement. Cette chaîne américaine compte investir 150 millions de dollars au Québec pour accélérer son expansion.

«Jusqu'ici, les Metro à proximité des six Supercentre ont bien résisté», dit-il.

Mais à voir le nombre d'initiatives que Metro mène de front, l'on comprend que cela va chauffer sur le marché québécois, qui a longtemps été moins concurrentiel que le marché ontarien, notamment dans le créneau des supermarchés à escompte.

Agrandissement et embellissement des comptoirs de fruits et de légumes - une stratégie qui se démarque d'ailleurs de Loblaw, si je me fie au supermarché de cette chaîne le plus près de chez moi.

Utilisation plus fine des données sur les achats des consommateurs récoltées par le nouveau programme de fidélisation metro&moi. Ainsi, Metro a augmenté l'offre de produits bios dans des quartiers qui n'étaient pas nécessairement les plus fortunés, mais où les clients consommaient beaucoup de ces produits.

Metro fait le pari de la qualité pour préserver ses parts de marché. Au Québec, ce détaillant détient 35% du marché de l'alimentation, ou 25% si l'on inclut tous les commerces qui vendent de la nourriture comme les dépanneurs ou les pharmacies. En Ontario, ses parts de marché équivalentes sont estimées à 20% et à 15%, respectivement.

Mais la meilleure défense, c'est encore l'attaque. Metro a porté un grand coup en investissant 157,3 millions dans les supermarchés Adonis et le distributeur de produits méditerranéens Phoenicia en échange d'une participation de contrôle de 55%. C'est ce qui a permis à Metro d'augmenter ses marges brutes à 18,8% comparativement à 18,4% un an plus tôt.

Metro aidera Adonis à doubler à 10 le nombre de ses supermarchés au Québec et à en ouvrir 5 ou 6 autres en Ontario d'ici cinq ans.

Dans un contexte où la croissance démographique du Canada est tributaire de l'immigration, les communautés culturelles avec leurs épiceries ou petites chaînes sont en quelque sorte la «dernière frontière» de l'alimentation. Mais Metro devra faire plus et plus vite, surtout en Ontario, qui compte une grande communauté asiatique. D'autant plus qu'elle n'est pas la première à avoir pigé cette réalité démographique. Loblaw, par exemple, a déjà mis la main sur la chaîne de supermarchés T&T.

Aussi bon soit-il, le baba ganoush ne suffira pas. Cela va prendre beaucoup de bok choy.