En janvier dernier, le Théâtre Espace libre m'a invité (en compagnie de ma collègue du Devoir Kathleen Lévesque et de l'historien Michel Sarra-Bournet) à voir la pièce Requiem pour un trompettiste, pour en commenter ensuite le contenu en table ronde.

En toute franchise, et à ma courte honte, je n'y connais rien en théâtre. C'est plutôt pour parler politique qu'on m'avait invité, puisque la pièce de Claude Guilmain s'inspire de la tragédie de Walkerton et de la responsabilité du gouvernement de Mike Harris.

Je vous rappelle rapidement les faits: en 2000, à la suite de violents orages dans le sud de l'Ontario, une souche mortelle de la bactérie E. coli se multiplie dans le réseau d'eau potable de la petite ville de Walkerton, tuant sept personnes et en rendant des centaines d'autres très malades. Après des années de faux-fuyants, de demi-réponses et de manque de transparence de la province, une commission d'enquête publique a finalement conclu que le gouvernement conservateur de Mike Harris était en grande partie responsable de ce drame en raison des compressions budgétaires draconiennes imposées au ministère de l'Environnement.

L'action de Requiem pour un trompettiste se passe dans une petite ville du Québec en 1958, mais on y reprend (parfois même mot à mot) certaines réponses et stratégies politiques du gouvernement Harris.

Après la pièce, nous avons parlé d'éthique et de politique, de transparence, de reddition de comptes, de responsabilité avec les spectateurs et je me souviens fort bien leur avoir dit, sans vouloir crier au loup, qu'une telle histoire risquait malheureusement de se reproduire puisque le gouvernement de Stephen Harper, comme celui de Mike Harris et sa «Révolution du bon sens», a bien l'intention de réduire les dépenses de l'État en sabrant la fonction publique.

L'histoire a d'ailleurs bien failli se reproduire en Ontario, toujours sous le gouvernement conservateur, en 2003, lorsque les autorités ont fermé in extremis une entreprise de province qui avait vendu de la viande provenant de bétail mort avant d'arriver à son abattoir.

Les libéraux et le Nouveau Parti démocratique avaient, sans surprise, sauté sur cette histoire pour rappeler que le nombre d'inspecteurs des aliments était passé de 103 à 8 pendant la Révolution du bon sens. Le vérificateur général de l'Ontario avait lui aussi critiqué sévèrement les compressions dans l'inspection des aliments.

En huit ans au pouvoir, le gouvernement Harris (suivi par Ernie Eves) a diminué les impôts des Ontariens de 30% et aboli plus de 16 000 postes de fonctionnaire. Il semble bien que le gouvernement Harper veut maintenant suivre la même recette. Il n'aura pas à chercher très loin son inspiration puisqu'il compte dans ses rangs plusieurs anciens ministres du gouvernement Harris, dont le ministre des Finances, Jim Flaherty, et ses collègues John Baird et Tony Clement.

Il faut croire que les conservateurs de Stephen Harper ont retenu l'idée des coupes dans la fonction publique, mais ont commodément oublié leurs fâcheuses conséquences. Ainsi, on a appris cette semaine qu'Ottawa éliminera au moins 100 postes d'inspecteurs à l'Agence canadienne d'inspection des aliments. «Sans compromettre la sécurité du public», s'est-on empressé d'ajouter à Ottawa, comme jadis à Queen's Park.

Curieux, tout de même, pour un gouvernement qui parle constamment de la sécurité des Canadiens. Surtout après les crises de la vache folle et de la grippe aviaire et la crise meurtrière de la listériose, il y a cinq ans à peine.

Même chose à l'Agence de santé publique, qui perdra plus de 300 employés, une organisation qui a pourtant été au front lors des alertes à la grippe A (H1N1) et du SRAS.

Quant à la suppression de plus de 1100 postes à l'Agence des services frontaliers, c'est carrément contradictoire pour un gouvernement qui prône la sécurité intérieure du Canada, les bonnes relations avec les États-Unis et la fluidité des échanges commerciaux avec notre plus important partenaire.

Mike Harris, Stephen Harper, même combat, même résultat?

On ne se le souhaite pas, évidemment, mais il ne faudra pas s'étonner si le Canada se retrouve, au cours des prochaines années, avec un Walkerton nouvelle version.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca