Quand j'étais petit et beau, la chanteuse Barbara que j'aimais beaucoup, que j'écoute encore d'ailleurs, chantait une chanson qui mettait en scène une femme de juge feuilletant le journal et tombant sur la photo du voyou-plutôt-bien-de-sa-personne que son mari venait de condamner, et l'épouse du magistrat de soupirer: si c'est bien la bonne photo, qu'on m'amène ce jeune homme...

Quand j'ai aperçu ma photo dans le journal de mardi, en haut du logo de La Presse, je me suis dit, ciel, y'a pas une femme de juge, même la plus sado-maso, qui va me réclamer aujourd'hui. Et vos courriels n'ont rien arrangé, avec cette délicatesse qui vous honore, vous êtes 50 à m'avoir demandé: êtes-vous mort, monsieur Foglia? Si vous ne l'êtes pas, alors pourquoi vous a-t-on embaumé?

Cela ne m'a pas occupé l'esprit plus de cinq minutes, sauf que le midi, je suis allé dîner avec un collègue à La Luna d'Oro, un café de la rue Saint-François-Xavier où je vais surtout pour le tiramisu. Dans ce café, le mur latéral est occupé par un miroir, chaque fois que je levais la tête, il y avait dans ce miroir cet horrible bonhomme au visage long et mou qui me regardait, je savais très bien que c'était moi et j'ai fini par le dire à haute voix: calvaire, c'est pas la photo, le problème, c'est moi!

Mais c'est pas une raison. Je ne veux pas avoir cette tête-là dans le journal même si c'est la mienne. Plus personne, dans les médias, n'a la tête qu'il a. Vous ne me croyez pas? Chérie, apporte-moi le Elle Québec. Ouvrons-le n'importe où, tenez, celle-ci, pensez-vous que ce sont ses cheveux? Et celle-là, ses yeux? Tout est trafiqué, siliconé, rallongé, y'a pas une fille au monde avec des cheveux, des yeux comme ça.

Hon! Et celle-ci! En sous-vêtements pour femmes fortes dans une annonce d'Addition Elle, elle a les mains dans les cheveux comme si elle était en train de se faire un chignon, ce qui lui écarte les bras et propulse en avant ses volumineux tétons, elle porte des hauts talons pas possibles qui lui font la jambe moins replète, tout est arrangé, tout est retouché, tout est séduction et maintien, sauf qu'ils ont écrit maintient en très gros avec un T et je me demande si c'est pas voulu pour nous suggérer qu'elle fait des fautes d'orthographe, sous-entendu que les plus connes sont aussi les plus cochonnes.

Bref, pourquoi pas moi? Pourquoi on m'arrangerait pas, moi aussi?

Tu veux qu'on retouche ta photo?

Oui.

Tu veux avoir l'air de quoi?

Je veux avoir l'air beau. Je veux que des femmes de juge un peu toutounettes, avec un chignon, tout en séduction et en maintient-avec-un-T, m'appellent.

C'est vous, le jeune homme de la photo?

Oui, c'est moi.

Qu'est-ce que vous faites ce soir?

Rien.

STRAIGHTFORWARDNESS Lu sur Twitter... non, c'est pas vrai, je ne lis jamais rien sur Twitter. Reçu un courriel de quelqu'un qui a lu sur Twitter qu'Anne Lagacé Dowson a demandé à Radio-Canada de rappeler à l'ordre René Homier-Roy qui dit souvent c'est du chinois pour dire que quelque chose est difficile à comprendre. Notre collègue Anne trouve ça raciste pour les Chinois.

Grande figure du journalisme canadien, madame Anne Dowson peut être entendue tous les jeudis au Téléjournal dans un panel d'experts qui se prononcent sur des grandes questions politiques. Des quatre de ce panel, madame Dowson devrait être, après Michel David, celle qui m'énarve le moins, gogauche, ex-candidate du NPD, brillante mais, hélas, toujours si insupportablement raisonnable que sa bien-pensance finit par me hérisser plus que les provocations de la jeune femme du National Post ou que les insignifiances de madame Frulla.

Je dis bien-pensance plutôt que rectitude, une maladie canado-canadienne qui fait ressembler ceux qui en sont atteints aux tortues des Galapagos. Melville à propos de ces tortues: «leur implacable besoin de straightforwardness les fait attaquer la moindre aspérité de la route comme une montagne.»

Vous parlez très bien français, madame, mais tout de même pas assez pour nous faire la leçon. C'est du chinois tel qu'employé par René pour parler de quelque chose d'incompréhensible est parfaitement français. Mon Petit Robert précise qu'on peut dire aussi: c'est de l'hébreu. Je trouve mon dictionnaire bien téméraire.

L'ÉDUCATION Quelques étudiants me pressent de me prononcer sur leur grève. Je suis pour, bien sûr. Pour l'exercice en lui-même. Pour la liberté qu'ils (ap) prennent. Pour le dérangement, pour le désordre même. Pour reconnaître leur droite de leur gauche. Pour une culture d'opposition. Pour l'insoumission. Pour la solidarité.

Oui, mais la hausse des droits de scolarité?

Je m'en crisse. Je trouve qu'il y a des enjeux autrement plus importants. Le plus important de tous? Comment dire?

Ce n'est pas bien difficile de former des ingénieurs, des avocats, des médecins, des gestionnaires (voyez avec quel empressement le privé commandite les facultés «utiles»).

Ce qui est difficile, c'est de former des citoyens cultivés. J'entends curieux, sachant lire, organiser leur pensée, sachant formuler une critique, capables de choix culturels qui échappent de temps en temps aux diktats du divertissement.

Bref, les droits de scolarité, les prêts et bourses des médecins, des ingénieurs, je m'en fiche un peu. Je trouve que c'est dans la formation des coiffeuses, des plombiers, des chauffeurs d'autobus qu'on est en train de se planter.

La signature photo de notre chroniqueur a été modifiée dans notre édition du jeudi 5 avril.