Ne me demandez pas comment prononcer na zdraví. Même avec un verre de Staropramen dans le nez, l'une des bières les plus populaires à Prague, je ne saurais dire «Santé!» en tchèque sans massacrer ce bon voeu.

Mais c'est le souhait qu'il faut lancer à Molson Coors. Cette brasserie nord-américaine vient d'avaler StarBev, une transaction de 2,65 milliards d'euros, soit 3,5 milliards CAN. Ce brasseur exploite neuf brasseries en Europe centrale et en Europe de l'Est. Avec ce volume de production additionnel de 13,3 millions d'hectolitres, Molson Coors devient le cinquième brasseur mondial derrière Anheuser-Busch Inbev (ABI), SABMiller, Heineken et Carlsberg.

Cela fait longtemps que Molson Coors a soif! Cela fait longtemps que le deuxième brasseur aux États-Unis et au Canada se cherche une acquisition. Pour se donner une masse critique plus importante. Pour diversifier ses revenus qui viennent de marchés matures durement éprouvés par la récession.

Molson Coors a longtemps été distraite avec ses problèmes au Brésil. Sous la direction de Daniel O'Neill, qui était tombé amoureux de la samba, Molson a investi 1,35 milliard de dollars dans ce pays d'Amérique du Sud au début des années 2000. Molson a mis des années à se remettre de cette aventure qui lui a fait perdre 1 milliard.

Puis, il y a eu la fusion avec la brasserie américaine Coors, qui a alourdi le bilan de l'entreprise. Pour acheter la paix avec les actionnaires qui étaient réfractaires à cette transaction, Molson et Coors y ont mis le prix. Ainsi, la brasserie a perdu du temps avant de nettoyer son bilan.

Lorsque Molson Coors s'est remise en mode acquisition, le train de la consolidation était depuis passé. Il ne reste plus beaucoup de brasseries indépendantes de taille moyenne à acquérir. Et Molson Coors n'avait pas les moyens d'offrir plus que SABMiller pour la brasserie australienne Foster's sans se ruiner avec une transaction de plus de 10 milliards de dollars.

En ce sens, l'acquisition de StarBev tombe à point nommé. Dans les pays où elle est présente comme la République tchèque, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie, de même que dans les républiques nées de l'éclatement de la Yougoslavie, les buveurs de bière n'ont pas changé leurs habitudes avec la mode des régimes faibles en glucides à la Montignac. On siffle encore une bière avant de trinquer avec une coupe de rouge.

Ces pays ont été plus durement touchés par la récession. Mais ce sont aussi eux qui rebondissent actuellement le plus fortement. Or, la consommation de bière est en lien direct avec la progression du produit intérieur brut.

Molson Coors a insisté hier sur la croissance annuelle de 3,1% projetée de 2011 à 2016 pour ces pays, comparativement à celle de 1,3% attendue en Europe de l'Ouest. Cela étant dit, si l'Europe de l'Ouest replonge en récession en raison des mesures d'austérité qui sont actuellement mises en oeuvre, les pays où StarBev est présente ne seront pas immunisés contre cette rechute.

Malgré tout, il y a tout de même ce doute qui hante les actionnaires de Molson qui ont été échaudés par les aventures de la brasserie à l'étranger. En quoi l'Europe de l'Est est-elle si différente du Brésil, un autre marché en croissance où les gens aiment la bière?

Peter Swinburn, président et chef de la direction de Molson Coors, a cherché à se faire rassurant. Au Brésil, les brasseurs établis comme Schincariol contrôlaient les deux tiers du marché. Dans les pays de StarBev, Molson Coors se trouve en bien meilleure posture. L'entreprise est le premier brasseur de Serbie, de Croatie, de Hongrie et du Monténégro. Par ailleurs, cinq des neuf marques de bière de StarBev occupent la première place dans leurs marchés respectifs.

Cependant, Molson Coors va se heurter à ses éternels rivaux comme ABI, SABMiller et Carlsberg. Et ces brasseurs ne lui feront pas de quartier.

Les bières de StarBev sont méconnues de ce côté-ci de l'Atlantique, à l'exception de la Staropramen, que certains amateurs de houblon affectionnent. Cette bière tchèque est distribuée dans une trentaine de pays, dont la Russie et l'Ukraine, deux endroits où elle jouit d'une certaine notoriété. Molson Coors tentera de les distribuer plus largement.

La brasserie nord-américaine cherchera surtout à exporter ses bières à l'Est, en particulier la Carling, dont elle espère faire mousser les ventes. Les Britanniques affectionnent cette bière, et les Européens de l'Est aspirent à ressembler aux Britanniques, raisonne Peter Swinburn. Soit.

Molson Coors ne peut espérer extraire beaucoup de revenus additionnels ou encore d'économies d'échelle, cependant. Tout au plus vise-t-elle une amélioration de 50 millions de dollars d'ici 2015. Ce n'est rien comparativement aux 750 millions par année en synergies découlant de la coentreprise MillerCoors.

L'actionnaire de contrôle de StarBev, le fonds d'investissement privé CVC Capital Partners, a déjà pressé le citron depuis son acquisition de 2009. À preuve, la rentabilité de StarBev, qui est significativement plus élevée que celle de Molson Coors, avec une marge bénéficiaire de 30% contre 19,4% pour la brasserie nord-américaine.

À la fin, toutefois, la diversification des revenus et l'accès à un marché où la consommation de bière est en croissance l'emportent largement sur ces considérations comptables.

Rares sont les entreprises à qui la vie accorde une deuxième chance de s'établir à l'étranger. Na zdraví!

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca