Demi-succès ou demi-échec? Le «Rallye de la raison» tenu à Washington, le week-end dernier, n'aura été fréquenté que par quelques milliers de personnes au lieu des dizaines de milliers attendues. La pluie n'a pas aidé, mais il y a autre chose.

L'événement rassemblait des athées, agnostiques et citoyens non affiliés à une religion constituée.

L'idée était de faire contrepoids au festival de la déraison qu'est devenue la course à l'investiture républicaine. Mais on y a surtout entrevu la crainte que bien des Américains peuvent avoir de s'afficher comme non religieux dans un pays qui tolère de moins en moins cette dissidence.

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Depuis maintenant des mois, la scène politique américaine est squattée par la religion.

Par exemple, le thème de la réforme de la santé a été réduit à une affaire de contraception, comme dans les recoins du tiers monde où le clergé est tout-puissant. Les candidats se battent pour déterminer qui est le plus dévot. Un intégriste comme Rick Santorum a remis en cause sans coup férir, ce qui aurait été jadis impensable, la provision constitutionnelle sur la séparation de l'Église et de l'État.

Pourtant, 16% des Américains sont athées, agnostiques ou non religieux (près de 25% chez les 18-29 ans). C'est la plus importante minorité au pays. Et, selon Richard Dawkins, elle est sur le point de «sortir du placard».

Invité vedette du rallye, sommité scientifique et auteur de The God Delusion, Dawkins estime, comme plusieurs, que la lutte à la déraison religieuse est devenue le plus important devoir citoyen. Il faut confronter de façon beaucoup plus abrupte les édits religieux et ceux qui les imposent dans la sphère publique, prône-t-il.

Loin d'être en recul, en effet, la rigidité dogmatique, le niveau de rejet de la modernité ainsi que l'influence dans le monde des religions constituées sont en hausse. Mais le pire réside certainement dans le fait qu'on peut encore aujourd'hui faire accepter n'importe quoi - vraiment n'importe quoi - à la condition d'invoquer une consigne divine! Et ce, même au sein de nations libres, instruites, presque laïques!

Cela ne promet pas un avenir très serein...

C'est aussi l'opinion du plus célèbre des militants athées américains, l'auteur Sam Harris, qui parle non seulement de devoir citoyen, mais de question de survie.

Dans Letter to a Christian Nation, il écrit: «Ou bien nous serons capables d'avoir une conversation du XXIe siècle sur les questions morales et sur le bien-être de l'humanité, ou bien nous nous limiterons à des conversations du Premier siècle telles que consignées dans la Bible».

Et en ce cas...

À une époque, écrit-il encore, où «une personne peut avoir les connaissances et les ressources nécessaires pour bricoler une bombe nucléaire tout en croyant qu'il aura droit à 72 vierges au paradis», il est difficile, en effet, de ne pas être au moins un peu inquiet.