La victoire de Thomas Mulcair était logique. Le député d'Outremont était le seul candidat du NPD à avoir une expérience du pouvoir, et sans doute celui qui est le mieux placé pour permettre à son parti de rêver à la prise du pouvoir, pour la première fois de son histoire.

Mais ce qui pouvait paraître logique au commun des mortels ne l'était pas nécessairement pour bien des militants néo-démocrates, pour qui l'intégrité idéologique passe bien avant l'appétit du pouvoir. La victoire de M. Mulcair - un outsider québécois, un ancien libéral, sans racines dans le parti - n'était pas gagnée d'avance. Pour qu'il l'emporte, il a fallu une révolution culturelle au NPD.

Cette révolution culturelle est en partie due aux redoutables talents de politiciens de Thomas Mulcair. Mais elle s'explique largement par la transformation de l'échiquier politique canadien. C'était facile pour le NPD de se contenter de défaites honorables quand les libéraux étaient au pouvoir et que le NPD pouvait se consoler en se disant que le gouvernement lui volait ses idées.

Mais la victoire de Stephen Harper, maintenant majoritaire et sans doute capable d'obtenir un second mandat, résolu à déconstruire le genre de Canada que le NPD a aidé à bâtir, change tout. Dans ce contexte, la prise du pouvoir, surtout que les libéraux n'ont pas retrouvé leur statut d'alternative plausible aux conservateurs, devient une obligation morale, même pour un néo-démocrate pur et dur.

L'autre facteur qui change la donne, c'est le raz-de-marée orange au Québec. Le succès imprévu du NPD a beau être un accident, dû à l'engouement pour Jack et à la lassitude pour Gilles, il n'en reste pas moins que le NPD s'est installé au Québec. Et cette incursion en sol québécois, aussi fragile soit-elle, place la victoire dans la sphère du possible.

Mais le travail de Thomas Mulcair ne fait que commencer. Il a convaincu quelques milliers de membres du NPD, il lui faut maintenant convaincre quelques millions de Canadiens. Trois grands chantiers l'attendent.

Le premier, c'est le programme. Le NPD fédéral est un parti incroyablement déconnecté, dominé par les grandes centrales syndicales pancanadiennes, qui n'a pas vraiment tenté de dépoussiérer le modèle social-démocrate des années 60 parce qu'il n'a jamais été près du pouvoir. C'est un parti aux idées nobles, à l'anti-américanisme primaire, centralisateur, confus sur l'économie et la fiscalité. Ce n'était pas grave, puisque personne ne regardait son programme de près. Pour convaincre les Canadiens, il faudra nettoyer tout ça, ce qui n'aidera pas à faire l'unité d'un parti divisé par une difficile campagne à la direction.

Le second chantier, c'est d'intégrer l'aile québécoise dans un tout canadien, de transformer un vote crypto-bloquiste en vote pour le NPD, ce qui sera d'autant plus difficile que M. Mulcair n'a pas une grande expérience de la politique canadienne.

Le troisième chantier, c'est de transformer Thomas Mulcair lui-même, un politicien aux talents de chat de ruelle, capable de coups bas, démagogue sur les bords, ce qui l'aidera certainement dans ses affrontements avec Stephen Harper.

Mais il devra apprendre à se contrôler. Un exemple? Il y a quelques jours, M. Mulcair a parlé des morts que le gouvernement Harper aurait sur la conscience avec la réduction des transferts aux provinces en santé. Aucun des premiers ministres provinciaux, pourtant directement touchés, n'a osé dire quelque chose d'aussi gros.

On n'écoutait pas vraiment ce que disaient les chefs du NPD, ni ce que disaient leurs candidats au leadership. Mais maintenant que M. Mulcair est chef de l'opposition et qu'il peut prétendre à la fonction de premier ministre, il sera surveillé de très près. En ce sens, le principal ennemi de Thomas Mulcair, ce sera lui-même.