Entre le budget du ministre des Finances et la manifestation des étudiants, ça aura été une grosse semaine. Ainsi, on a vu dans les rues de Montréal une immense foule bellement excitée par la mini-révolution (tranquille) qu'elle était en train de faire, toujours confiante de contraindre le grand argentier de l'État à l'écouter.

Remarquable.

Car on finit par comprendre que les étudiants utilisent le mot «écouter» dans son sens populaire, celui d'«obéir» (Écoute moé!), en une candide inversion des principes d'autorité et de démocratie. Cela paraît tout naturel à la génération Z, qui ne voit autour d'elle que les mille égoïsmes collectifs auxquels, d'habitude, les élus obéissent bel et bien.

Forts de leur bon droit, les Zers ont donc fait leur chemin de croix, passant, rue Berri, devant la carcasse post-nucléaire des génies de l'UQAM - quelle ironie! Puis devant le temple à lamelles tombantes du livre-papier, cet étrange petit objet dans lequel on ne sait pas où vont les piles. Ensuite, plus loin, devant le balcon où le général de Gaulle a un jour fouetté en vain les coloniaux. Enfin devant tous les terrains vagues et infrastructures friables du centre-ville, symboles d'une société fatiguée et velléitaire.

Il faut admirer les étudiants pour avoir survécu au budget de Raymond Bachand qui, essentiellement, perpétue le «business as usual»: le gavage ininterrompu de la bête combiné à la maigreur des résultats obtenus. Car ce qu'il leur a dit, c'est: «Rentrez chez vous, on ne peut rien pour vous». Exactement comme le fonctionnaire désenchanté du film L'âge des ténèbres le conseille aux brebis nécessiteuses attroupées dans le plus grand bunker étatique au monde, que Denys Arcand a imaginé au Stade olympique.

Or, ce ministre, les Zers ne l'ont pas... écouté.

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Évoquer Arcand n'est pas fortuit.

Carl Bergeron, jeune intellectuel formé en science politique, lance en effet un ouvrage, Un cynique chez les lyriques: Denys Arcand et le Québec, décrivant tout autant la société québécoise que l'oeuvre du cinéaste.

En particulier du Déclin aux Ténèbres, il analyse de façon ingénieuse, fut-elle à l'occasion un peu ronflante, le regard perçant d'Arcand et ce que ce regard a embrassé. C'est-à-dire un paysage dont la semaine qui vient de s'écouler constitue un condensé, de la dysfonction étatique à l'émiettement social, de la liturgie de la parole creuse à l'excommunication de l'action efficiente...

Arcand, démontre-t-on surtout, est un maître de cinéma - un des seuls? - sans illusions, sans rectitude, sans complaisance. Ce qui explique la hargne souvent exprimée à son endroit par les petites bourgeoisies provinciales, surtout la culturelle, qui est la plus compassée.

Carl Bergeron donne le goût de revoir avec les yeux d'aujourd'hui les grands films de Denys Arcand. Et, de cela, personne ne peut nous priver.